Les LE Nain sont-ils des Géants ?
Des géants de la peinture ? Probablement non, encore qu’ils occupent une place plus qu’honorable dans le classement des peintres français du 17ème siècle. Étaient-ils plus ou moins grands, en tant que peintres, que leurs contemporains les Champaigne, les de la Tour, les Poussin, les Le Brun, les Rigaud, les Mignard ou les Claude Gellée ? Les spécialistes en discutent encore.
Ce qui frappe quand on visite l’exposition Le Mystère Le Nain au Louvre Lens c’est qu’ils étaient capables d’une hauteur de vue, porteurs d’un regard que leur époque ne nomme pas encore « social » . Parce qu’ils sont peintres, parce qu’ils sont grands, ils voient et montrent ce que leurs contemporains ne veulent pas voir, ce que leurs collègues ne se préoccupent pas de montrer. Ils sont les tout premiers et les seuls, bien avant les littérateurs et les philosophes, à ériger en sujet l’état de misère des paysans français ( 78% de la population ) soumis à un régime fiscal qui, au nom de la grandeur du royaume et de son roi, les dépossèdent du peu qu’ils ont et les jettent sur les routes où ils n’ont plus qu’à mendier ; eux qui étaient les seuls ou presque à payer l’impôt.
Les frères Le Nain, notamment Louis, les campent face à leurs contemporains qui, au mieux, les ignorent et toujours les exploitent. Par delà les quatre siècles qui nous séparent, ils fixent sur nous un regard vide d’espérance ; le même que celui des paysans du middle-west capté dans les années 30 par l’objectif de Walker Evans. ( Actuellement à Beaubourg ) Louis Le Nain les saisit dans leur masure, vêtus de haillons, pieds nus sans doute juste avant qu’ils ne deviennent SDF. Ils nous invitent à regarder le visage éternel de la détresse qui n’a pas changé.
Les frères, Louis, Mathieu et Antoine, Le Nain, mettent leur maîtrise de la lumière, du clair obscur et du dessin au service non pas du réalisme mais du réel. Un réel qui, curieusement, va intéresser une clientèle nombreuse.
Leur atelier parisien de Saint-Germain-des-Prés à Paris verra affluer les commandes venues de la bourgeoisie comme de l’église. De la miniature au tableau d’autel, des maîtres flamands à Caravage les Le Nain sont présents sur tous les fronts de la création du 17ème siècle.
Parfois victimes de leur succès il leur arrivait d’aller un peu vite sur l’exécution au détriment de l’exigence, ce qui n’enlève rien à l’émotion.
Pierre Vauconsant
Le Mystère Le Nain : Jusqu’au 26 juin 2017
Louvre Lens
99 Rue Paul Bert, 62300 Lens
tous les jours sauf le mardi de 10h à 18h