Les témoins

Avez-vous noté que l’expression « cinquième pouvoir » disparait peu à peu des conversations, des plateaux télé, du discours politique ? Sans verser dans la paranoïa ou des discours alarmistes, force est de constater une lente et insidieuse évolution dans les rapports de forces qui garantissent les équilibres de nos démocraties. Il convient donc de rester vigilants quant aux conséquences de changements observés depuis plusieurs décennies en matière économique et législative conduisant à un affaiblissement du pouvoir de la presse. Le passage de certains supports sous le contrôle de grands groupes industriels souvent en trop grande connivence avec les partis politiques, constitue bien évidemment une menace pour l’indépendance des médias.

C’est bien de cela dont nous parle avec intelligence et finesse « Les témoins » … et de bien d’autres choses encore. Avant même de s’inquiéter d’une prise en main pour des raisons plus ou moins avouées, l’approche-même du travail d’investigation journalistique et de divulgation des fruits d’enquêtes au fond constitue la base de cette histoire, certes fictionnelle mais dont la clairvoyance et les questions qu’elle soulève en font une création proprement passionnante. D’aucuns –beaucoup- font le choix de propos partisans ou à tout le moins très orientés politiquement. La pièce raconte combien cela conduit à dénaturer la vérité et l’objectivité du propos. Et la concurrence de nouveaux vecteurs comme les réseaux sociaux ou les journaux en ligne ne simplifie pas la tâche de ceux qui estiment légitime ou honnête de garder la juste distance avec le politique. Comment ne pas céder aux sirènes du feuilletonnage afin de tenir le lecteur en haleine ? Comment, dans un monde aussi frénétique et peu soucieux de privilégier le vrai et le profond au détriment du simplisme voire de la fake news et du sensationnalisme, conserver le recul nécessaire ou prendre de la hauteur assurant une lecture complète d’enjeux complexes ?

Je ne dirai rien de la scénographie du spectacle car il serait dommage de spoiler des partis-pris magnifiquement efficace. Le spectateur comprendra peu à peu ce qui se joue sous ses yeux. En revanche, il me parait important de souligner la complémentarité –je dirai même ce qui en fait le sel- entre trame de fond (ici la peur et la panique qui saisissent la rédaction d’un journal indépendant dont les chefs de service entendaient se tenir éloignés du journalisme d’opinion) et psychologie des personnages. Chacun réagira comme il le pourra, fonction de son passé, de sa sensibilité, de contraintes personnelles et matérielles et bien sûr de sa position au sein de la rédaction au moment où le sol se dérobe sous leur pied.

Vents d’Orage ne pouvait donc vous priver d’un long et riche entretien avec l’auteur et metteur en scène de ce petit bijou. Yann Reuzeau évoque sans emphase et beaucoup d’humilité l’impact de la crise sanitaire sur la vie de son théâtre et de sa profession et les ressorts scénaristiques du spectacle ici chroniqué :

Le pitch : « Les Témoins » est un journal dont l’intégrité et le professionnalisme ne font pas débat. Mais le jour où un candidat d’extrême droite gagne la présidentielle, les journalistes de la rédaction sentent vite le vent tourner : ils deviennent l’ennemi à abattre.

« Les Témoins » doivent alors se battre pour préserver leur éthique et leur détermination sans sombrer dans une guerre de tranchées contre le nouveau pouvoir. Catherine, la rédactrice en chef ajointe, tente de conserver l’unité de ses troupes, au bord de l’implosion, alors que la rédaction accumule les enquêtes explosives. Cyril découvre le projet d’action terroriste d’un groupuscule écologiste. Hassan suspecte qu’un pays ami ait exécuté un agent français (mais sa source est faible et il craint de relancer les graves tensions entre les deux pays). Rebecca met à jour une gigantesque histoire d’espionnage industriel perpétré par un proche du nouveau président. Romain, lui, découvre un embryon de résistance armée. Ils envisagent déjà un coup d’état.

Les témoins

Auteur : Yann Reuzeau ; Mise en scène : Yann Reuzeau ; Avec : Frédéric Andrau, Marjorie Ciccone, Catherine Griffoni, Sophie Vonlanthen, Frédérique Lazarini, Tewfik Snoussi et Didier Boulle

Jusqu’au 28 novembre 2021, du mercredi au dimanche

Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, 75018 Paris

Réservations