Les visages de l’exploration au XIXème siècle : du mythe à l’histoire

Charles de Foucauld : son visage est bien souvent connu, et reconnu. Que ce soit celui du Cyrard épicurien ou de l’ermite de Tamanrasset, il est aisément identifiable. Et si d’aucuns ne connaissent pas ses traits, connaît-on au moins son nom, et sa réputation. Celle du saint fraîchement canonisé, mais aussi celle de l’explorateur du Maroc, récompensé pour ses travaux de la médaille d’or de la Société de Géographie.

Peut-on en dire autant de Mardochée, son fidèle compagnon juif, sans qui l’infiltration au Maroc, alors interdit aux Roumis, aurait été impossible ? Non, de toute évidence. Il représente pourtant, avec bien d’autres de ses alter ego qui souvent croupissent dans les oubliettes de l’histoire, l’un des Visages de l’exploration au XIXème siècle, et non des moindres.

C’est le nom de la nouvelle exposition de la BNF, qui s’attache justement à restaurer la réalité de ces aventures, dont on croit parfois que les héros étaient exclusivement de mâles Blanc agissant seuls et bien. Ce parcours passionnant vise certes à déconstruire ce mythe largement répandu, mais sans pour autant tomber dans les affres de la repentance systématique. Ce sont bien TOUS les visages de ce phénomène qui s’offrent à nos yeux, dans une visite en trois temps : nous découvrons d’abord la préparation savante du voyage, puis nous sommes confrontés aux pratiques de terrain, avant de rentrer au pays avec l’explorateur pour mieux comprendre la mise en récit et en images de ses aventures.

L’un de ces visages, très officiel celui-là, nous l’avons déjà évoqué : c’est celui de la Société de Géographie, fondée à Paris en 1821, dans le but d’encourager études et découvertes scientifiques, et de faire entreprendre des voyages dans des contrées inconnues. Elle fut souvent à l’initiative de l’exploration, mais le reste appartient aux explorateurs eux-mêmes. Sur le terrain, il y a l’indispensable matériel, comme ces jumelles ou ce ventilateur mécanique, mais aussi les indispensables auxiliaires. Mardochée aida Foucauld, comme Octavie Coudreau assista son mari dans la découverte des affluents des Amazones, entreprise qu’elle poursuivit une fois veuve, avec brio, et un bel appareil photo.

Sur le terrain encore, on a recouru à de nombreuses disciplines, afin d’étudier les terres vierges sous des angles aussi variés que passionnants. Linguistique (ici, un carnet d’étude des langues berbères), ornithologie, archéologie, ethnographie et même phrénologie, c’est-à-dire le classement des populations selon la forme du crâne (là, un moulage réalisé sur un spécimen vivant…). Toute la frénésie positiviste du XIXème siècle est mobilisé dans la conquête scientifique, et parfois militaire, du monde non-occidental.

On découvre aussi comment les explorateurs ont dû développer des stratagèmes afin de déjouer l’attention des autochtones parfois hostiles : on voit ici un chèche sur lequel est imprimé une carte ou encore des dessins de Foucauld qu’il croqua à la dérobée.

Part d’ombre de l’exploration : la colonisation, parfois brutale et injuste. Ainsi, le « prélèvement » d’antiquités, ou d’œuvres d’arts, s’est souvent apparenté à un pillage en règle. En témoignent ce couteau de jet et cette statuette. L’exposition présente également l’exploration, fortement teintée de conquête, si ce n’est l’inverse, de Madagascar par le général Gallieni. Celui-ci a souvent mis d’ailleurs l’étude des territoires et des populations au service d’objectifs strictement militaires.

Cette exposition présente avec talent une vision de l’exploration qui échappe aux manichéismes parfois en usage, réduisant les autochtones à de vulgaires indigènes définitivement inférieurs pour l’un, et transformant les explorateurs en monstres sanguinaires pour le second, plus récent celui-ci. Non, cette aventure du XIXème siècle ne fut et n’est pas un Janus aux deux visages, mais un phénomène complexe aux multiples facettes, que tout passionné d’histoire devrait s’empresser d’aller découvrir à la BNF.

Commissaires : Hélène Blais (Ecole normale supérieure), Olivier Loiseaux (BNF, département des cartes et plans)

François Bouyé

Du 10 mai au 21 août 2022

Bibliothèque François Mitterrand – Galerie 2, Quai François Mauriac, 75013 Paris

Ouvert de mardi à samedi de 10h à 19h et le dimanche de 13h à 19h – Fermé le lundi et les jours fériés. Fermeture des caisses une heure avant la fermeture de l’exposition