Ce one man show déjanté et iconoclaste démarre sur un cri rauque digne de Cambronne : « Merde ». « Avec ce grand mot, on se console de toutes les misères humaines » (Gustave Flaubert). Sous la direction de Servane Deschamps et dans les costumes invraisemblables de Sophy Adam, Philippe Fertray livre ici bien plus qu’un spectacle : la performance d’un artiste original, inclassable. Un vent de fraîcheur dans un monde aussi désorienté que branché.
Puis, lancé, le show cible et bave pendant plus d’une heure sur les réseaux sociaux pour finir par cerner et mettre en scène le scandale du numérique qui rapporte tant. « Les paradoxes d’aujourd’hui seront les clichés de demain ». On s’aventure ici et là dans l’inattendu, l’absurde, le baroque pour ne pas dire le marrant et le fol dingue. Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : l’homme a besoin de ce qu’il a de pire en lui s’il veut parvenir à ce qu’il a de meilleur. Humain, trop humain. Entre l’immense solitude de l’hyper-connecté et l’illusion rassurante de la myriade de Likes qui comble le vide du huis clos numérique… à l’ère de l’hégémonie des réseaux sociaux et des images faussement idéales qu’ils véhiculent.
Comme l’explique le professeur Ofir Turel, spécialiste des systèmes d’information et de décision à l’université de l’État de Californie, « les Like produisent des expériences de récompense faisant que les gens se sentent bien. Le fait de se sentir bien est exprimé par la libération de dopamine et l’activation du circuit de la récompense dans le cerveau. Avec le temps, notre cerveau apprend à associer les Like avec le fait de se sentir bien, et ceci crée une forte motivation pour se servir des réseaux sociaux comme d’un moyen, parmi d’autres, pour recevoir plus de Like et pour générer le bon sentiment attendu quand nous en voyons. Ainsi, les Like sont un mécanisme psychologique qui conduit les gens à vouloir se servir des réseaux sociaux ». Pour favoriser leur fréquentation, ces entreprises ont introduit des variables qui rendent leur consultation « addictive ».
Tout être est contemporain de chacun des moments de sa vie. L’auteur-acteur en grande forme s’amuse, se paye même le luxe d’une conclusion comiquement idéale. Comme un condamné à mort se rend à l’échafaud avec la certitude de ce qui l’attend au-delà. Gaiement. Et quatre à quatre. Par les temps (nihilistes) qui courent, comme dirait Pierre Dac, parler de rien, c’est déjà quelque chose, tout en donnant l’impression d’être basé et connecté sur tout. Il peut ainsi être prononcé n’importe où, n’importe quand, mais pas par n’importe qui. C’est important de se bousculer, de sortir de son contexte, pour ne pas créer son propre ordre établi une fois pour toute. Il faut encore porter du chaos en soi pour accoucher d’une étoile filante. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit. Qui croit ne sait même plus ce qu’il croit. Qui se contente de sa pensée ne pense plus rien. Comme un amant pose une main sereine sur la cuisse de son amour, Philippe Festray est le fol séduisant maître à croire de tous ceux qui croient savoir sans savoir qu’ils croient.
Christian Duteil
« Likez-vous les uns les autres » de Philippe Festray
Texte et interprétation : Philippe FERTRAY ; Mise en scène : Servane DESCHAMPS ; Costumes : Sophy ADAM ; Musique : Vincent BARIBAUD, Philippe FERTRAY, Bruno MÉNAGER et Philippe ZERBIB
Du 10 mai au 31 juillet (relâche le 15 juin) 2023
Les lundis et mardis à 19h, Les mercredis et jeudis à 21h, Les
dimanches à 18h30
Théâtre de la Contrescarpe, 5 rue Bainville, 75005 Paris