Loading : l’art urbain fait le buzz

Le Grand Palais Immersif accueille Loading, une installation qui explore les relations unissant art urbain et innovations numériques.

Selon les termes de son commissaire Christian Omodeo, le projet représente “une révolution”, et répond “au fantasme de donner une impression beaucoup plus large des actions de ces artistes qui ne travaillent pas pour le marché pour différentes raisons.”

Conçue en partenariat avec Google Art et Culture et la Fondation Desperados pour l’art urbain, cette exposition est en effet innovante en ce qu’elle présente des artistes en action (comme l’indique la terminologie -ing) et est centrée uniquement sur la production légale, illégale, spontanée des artistes de rue du monde entier.

En exploitant, de manière formelle, les nouvelles possibilités du numérique, il s’agit de “bâtir un récit alternatif de l’art urbain”. Ce nouveau format d’exposition n’apparaît pas classable mais d’autant plus impressionnant.

Le terme “Loading” fait référence au terme informatique et à l’icône de chargement, ainsi l’exposition présente le processus d’élaboration de graffiti en live. L’art urbain est en effet intimement lié au genre de la performance, voire au one shot et va de pair avec une certaine adrénaline.

Un projet qui prend l’art urbain pour sujet permet donc de montrer des choses qu’on ne voit pas dans les expositions classiques.

On assiste paradoxalement à un entremêlement de différents espaces et temporalités : l’ici et le maintenant, mais aussi le partout et le tout le temps, grâce à un processus d’archive de ces images diffusées sur l’espace illimité d’internet et des réseaux.

Ce dernier est organisé en six sections qui déclinent successivement la révolution qu’a apportée l’arrivée d’Internet puis des réseaux sociaux (ces quarante dernières années) dans la pratique du Street art. 

L’exposition utilise justement ces ressources digitales pour proposer un parcours immersif dans lequel la qualité fédérative et exhaustive du numérique est mise en avant.

Le design sonore, pris en charge par l’Ircam, garantit des expériences numériques inédites, mises en musique par Roque Rivas, compositeur de l’exposition. Les pistes musicales du tunnel épousent cette évolution chronologique.

Les innovations technologiques et la créativité digitale permettent d’accéder à une reconstitution d’œuvres aujourd’hui disparues.

Elles donnent par là même l’occasion de revenir sur l’histoire de cet art qui s’est développé au XXème siècle, consistant à faire du terrain public un lieu d’expression privilégié.

On parle donc d’une dynamique d’appropriation symbolique du territoire par le dessin : l’expression getting up désigne justement la multiplication à l’infini de tags et graffitis dans l’espace urbain pour revendiquer une zone déterminée.

En effet, le passage est également celui d’une pratique marginale, et parfois illégale, à la revendication d’une visibilité plus importante, permise notamment par les outils numériques comme les drones.

Un tel changement d’échelle, de la réalité sociale de la rue à la prétention du monde, pousse les artistes graffeurs à devenir des maîtres vidéographes pour s’adapter aux nouvelles modalités d’appréciation des œuvres d’art urbain (plans aériens filmés au drone, caméra embarquées…).

Autant d’images dont le caractère spectaculaire est marquant, puisque ces outils téléguidés permettent également de peindre à distance des surfaces inaccessibles. On passe d’œuvres faites dans la rue et pour la rue, à des œuvres faites pour être montrées sur les réseaux, dont le champ de visibilité apparaît infini de nos jours.

Deux éléments anticipent le parcours et en permettent une meilleure compréhension :

  • la time line, c’est-à-dire une fresque chronologique qui retrace l’évolution des pratiques de l’art de rue depuis la genèse new yorkaise du graffiti.

Dès le début, on remarque l’influence réciproque unissant numérique et art urbain ; des personnages de jeux vidéo créés dans les années 80 sont transposés en mosaïques sur les murs, le jeu Pokémon GO, consistant à scanner les créatures dans la rue, en est un exemple plus récent !

Dans les années 2000, l’usage de nacelles permet la réalisation de tags plus importants et donc d’empêcher par là même leur suppression.

L’art urbain s’affirme et s’émancipe en même temps que ses acteurs prennent conscience que le post de photographie des œuvres de rue encourage, à l’autre bout du monde, d’autres artistes à descendre à leur tour.

Plus tard, au cours des années 2010, on assiste à une fédération de cette pratique par la création d’un réseau international de festivals urbains qui s’impose dans le monde : le Mural Festival a lieu en effet à Montréal, New Delhi …

Cette visibilité croissante s’accompagne d’une production plus poussée de vidéos spectaculaires, permise par l’utilisation de drones à partir de 2020, afin d’attirer l’attention des réseaux.

le lexique :

Le street art constitue un monde régi par ses propres codes, et est modelé entre autres par un vocabulaire spécifique, plus ou moins connu, et dont les définitions nous sont proposées. (cf les mots en italique)

SECTION 1 : CALL TO ACTION* (*l’appel à l’action)

Cette première section présente la concurrence graphique des slogans publicitaires et éclaire par la même la motivation de l’art urbain : celle d’obtenir une viralité, c’est-à-dire une diffusion rapide et incontrôlée des contenus sur Internet, permettant de faire retentir un message.

L’exemple présenté sont les œuvres de 1UP, One United Power, un collectif menant des actions illégales et dont l’engagement écologique retentit à l’échelle internationale.

L’art urbain est aussi considéré comme un droit qui met en question la liberté d’expression.

SECTION 2 : (IN) VISIBLES

La seconde partie est centrée sur les graffitis, résultats d’un exercice de calligraphie in situ réalisé à la bombe aérosol.

On constate un regain d’intérêt pour cette pratique qui ne date pas d’hier, les peintures murales dans les grottes préhistoriques de Lascaux témoignent de ce besoin inné de marquer les murs, de laisser une trace.

La phrase type, Kilroy was here, matérialise le rapport à l’identité qu’engage la pratique du graffiti : symboliquement, on marque son appartenance à un lieu et on se crée une réputation en adoptant un blaze, c’est-à-dire un pseudonyme, qui permet d’être connu et reconnu comme le king ou la queen de ce milieu particulier.

La série Dots, de l’artiste sud-coréenne Jazoo Yang, décline cet art de la signature en en faisant une lutte pour la mémoire des lieux : avec son pouce enduit de colorant, elle trace des lignes d’empreintes sur une ancienne maison de pêcheurs vouée à la destruction.

Il est donc question d’immortaliser quelque chose et de contrer la nostalgie. La photo occupe dans cette exposition une place majeure en ce qu’elle permet, par un processus d’archive, de figer cet art éphémère fondé sur l’expérience de l’interdit.

SECTION 3 : BOMBING THE METAVERSE* (*Graffer le métavers)

L’infiltration du graffiti dans le numérique s’est effectuée par l’intermédiaire des jeux vidéos, et une telle transposition à donner naissance au gif-iti, un genre particulier de graffiti qui fait l’objet de cette troisième partie.

Les graffitis peints dans la rue sont transformés en fichier GIF, des vidéos en stop motion qui présentent pas à pas l’élaboration des différentes couches composant un graffiti.

Ceux produits pour cette exposition sont dus à des femmes dont Mick la Rock, Lady K et Laia, et témoignent de l’équilibre progressif entre les deux sexes qui s’installe dans le milieu depuis une quinzaine d’années.

Il s’agit pour ces artistes de s’approprier ce langage pictural en explorant différentes surfaces pour trouver un spot : murs, rideaux de fer, tunnels, trains… figeant ainsi des attitudes emblématiques de la culture du graffiti, qu’Alex Faso saisit dans sa série photographique, Strike a pose (*Prend la pose)

SECTION 4 : WORLD WIDE WALLS* (*les murs du monde)

En partenariat avec Google Art et culture, cette quatrième partie propose un dispositif interactif : les visiteurs manipulent un joystick pour naviguer dans les rues du monde entier à la recherche de neuf œuvres peintes lors de festivals d’art urbain.

Certaines stories conçues par la plateforme présentent également le parcours des artistes Bilel Allemn et Seb Toussaint ainsi que leur action de médiation envers des jeunes dans le cadre du festival de hip-hop et des cultures urbaines de Saint Denis.

SECTION 5 :HELLO, MY NAME IS…* (*Salut, je m’appelle…)

Le graffiti apparaît comme une nouvelle forme de calligraphie, ouvrant sur une grande variété des manières d’écrire, plus ou moins complexes.

En ce qu’il implique l’élection d’un style d’écriture, le tag constitue un acte personnel qui singularise son auteur.

Dans cette cinquième partie, la possibilité de saisir un message sur un écran et de choisir un style de graffiti est offerte au visiteur :le résultat apparaît ensuite sur un mur et il peut être téléchargé grâce à un Qr-code.

SECTION 6 : HACKTIVISM(ES)

Le terme hacker désigne l’acte de s’approprier un outil technologique pour le démonter, modifier et détourner de ses fonctions originales.

Si l’on peut être graffeur sans défendre une cause, un grand nombre d’artistes urbains ont compris l’intérêt de ce mode de diffusion à grande échelle, et utilisent leur connaissance des rouages du Net pour véhiculer un message.

Les lanceurs d’alerte tels que Edward Snowden (1983) ou plus récemment Swartz, développeur du site Reddit, ont dénoncé la surveillance et le manque de transparence en jeu sur Internet.

Une telle méfiance envers ces plateformes est nuancée par la richesse des échanges permise par ces plateformes, fructosité mise en avant par l’installation Real Time, pour laquelle des influenceurs de différentes nationalités ont été invités à sélectionner des comptes et contenus qui inspirent leur quotidien.

C’est donc véritablement une approche exhaustive et immersive que propose ce parcours à la fois généalogique et éminemment actuel de l’art de rue.

Le développement d’un nouvel outil numérique extrêmement performant, l’intelligence artificielle amène aujourd’hui, plus que jamais, à bouleverser les modes d’expression de l’art urbain…

Le lieu :

Le Grand Palais Immersif est un nouveau lieu culturel fondé en 2022 et dédié aux expositions numériques. Installé dans une partie de la “salle modulable” de l’Opéra Bastille, il propose deux expositions immersives par an dont il prend en charge la conception, réalisation, exploitation et commercialisation.

Avec les œuvres de Jane Dickson, Keith Haring, John Crash Matos, El Mac, SNIK, Axel Void, Helen Bur, Hyokuro, Momo, Sainer.

Joséphine Renart

Du 6 décembre 2023 au 21 juillet 2024

Grand Palais Immersif, 110 rue de Lyon, 750012 Paris

ouvert du lundi au dimanche, de 10h à 19h – fermeture hebdomadaire le mardi