M.A.D ! Je te promets la forêt rebelle : le zadisme jusqu’au-boutiste

Les grandes bassines font-elles de grandes pièces de théâtres ? Dans M.A.D! Je te promets la forêt rebelle, l’écologie politique portée par les zadistes, ces militants qui composent les zones à défendre (ZAD), est portée sur scène. Joséphine Serre, à la mise en scène très réussie, notamment les lumières, et au texte, propose une fresque engagée au Théâtre de la Tempête.

« Je te promets la forêt rebelle » : promesse tenue ? Au sortir de ce spectacle de près de 2H30, l’on ne sait pas réellement si la forêt rebelle sont ces apparitions magiques qui représentent un Neil Armstrong reconverti en jardinier, activiste écologique, ou s’il faut plutôt voir cette nature dévergondée dans ces batailles, dans ce « Monde à défendre » (MAD), conglomérat de causes.

L’histoire de cette pièce mise en scène par Joséphine Serre s’inspire très directement de l’épisode qui a défrayé la chronique l’an dernier, les mégabassines de Sainte-Soline. Ces projets de rétention d’eau importants pour permettre à l’agriculture d’avoir suffisamment de réserves, ont eu du mal à être acceptés par nombre d’activistes écologiques. Ces derniers se sont donc réunis pour manifester, créer ce que l’on appelle une ZAD. Des heurts ont éclaté, ce qui a fait dire à Gérald Darmanin, que l’on assistait à un « éco-terrorisme. »

Désobéissance civile

Le procédé de Zone à Défendre est désormais devenu très courant en France depuis qu’il a été couronné de succès à Notre-Dame-des-Landes. Le projet d’aéroport dans les environs de Nantes, voulu par l’ensemble des collectivités et même réaffirmé par un référendum local, a ainsi été annulé du fait d’une pression trop importante de ces zadistes.

« Si on désobéit aux lois de la république, à quelles lois obéit-on ? » s’interroge l’un des personnages de la pièce. La question de la désobéissance civile, concept reconnu juridiquement et apparu aux Amériques grâce à David Thoreau, est évidemment évoquée. Ces mouvements, contre la propriété privée et contre l’État, sont nécessaires et seraient couverts par ce concept aux contours opaques.

L’idée n’est pas nouvelle et est partagée par tous les grands auteurs et philosophes contemporains de la liberté, notamment John Locke qui estime qu’un droit de résistance est un « droit naturel », c’est-à-dire qui appartient à tous les hommes.

Néanmoins, pour que ce dernier puisse être utilisé tout en cohabitant sainement au sein d’un espace démocratique composé d’une multitude d’autres droits et devoirs, des gardes-fous, des critères précis doivent l’entourer. L’on ne peut brandir simplement ce droit pour se permettre de tout faire. Lorsque l’on désobéit à l’Etat pour obéir à quelqu’un d’autre, l’on désobéit avant tout.

Or, le problème se situe justement ici : ce droit à la désobéissance n’est pas borné. Face aux insurrections collectives grandissantes, ce droit semble, de plus en plus, être instrumentalisé pour légitimer des actions de violence, parfois gratuites. Indignez-vous appelait Stéphane Hessel dans son opuscule (2010) : le message semble avoir été plus qu’entendu, fragilisant aujourd’hui grandement la concorde nationale.

Violences, désobéissances

Un inventaire à la Prévert des différentes désobéissances, est énoncé par la pièce. Il y, tout d’abord, la désobéissance contre une société matérialiste, tournée vers la réussite personnelle plus que celle collective et la recherche du sacro-saint vivre-ensemble.

Ce même vivre-ensemble qui, dès qu’il s’agit de parler de la famille, est tout de suite oublié. Au contraire, la cellule familiale et ses carcans doivent, eux-aussi, voler en éclats. Une désobéissance vis-à-vis des différents agents de socialisation dans la société – la famille, les amis, le travail – est ainsi montrée par la pièce.

Enfin, le cœur de cible de la pièce se situe dans la désobéissance vis-à-vis de l’Etat ; de sa justice de « boomers, blanches hétérocentrée » ; de sa police, nécessairement violente. Cette désobéissance est présentée comme une condition sine qua non pour que les soulèvements écologistes voient leurs actions se transformer en succès.

La forêt rebelle est donc avant tout une forêt sauvage qui ouvre grand la brèche de l’affrontement entre une police d’Etat qui tue et des groupes, porteurs de l’unique bonne parole qui ne peut être discutée.

La pièce, qui tourne autour d’un mort lors d’une émeute qui a dégénéré entre la police et un groupe de zadistes, accuse l’Etat de criminel. « C’est un crime d’Etat » hurlent plusieurs fois différents personnages.

Dès lors, la violence, présentée comme une arme de conquête politique nécessaire et juste, n’est plus que décriée, vertement condamnée lorsque la police est évoquée. En définitive, ce n’est pas tant la violence, mais le « monopole de la violence légitime » dixit Max Weber, attribué classiquement à l’Etat, qui est remis en cause par la pièce. La violence devrait uniquement servir à défendre des causes « justes », donc écologiques, face aux ennemis « Monsanto, Pouyané… » s’emporte-t-on sur les planches.

Mais comme il est impossible de désigner ce qui est juste – chacun estimant, légitimement, que ce qu’il défend l’est -, c’est encore à la police d’assurer sa fonction régalienne.

Si la cause écologique est ici portée avec émotions et passions par la troupe d’acteurs, la pièce fait fi des débordements dont sont à l’origine les zadistes. Une déresponsabilisation qui nuit au message politique qui souhaite être transmis ici. Lorsque l’on a des convictions et que l’on souhaite les défendre, le mieux est encore d’assumer par quels moyens l’on souhaite arriver à ses fins.

Gabriel Moser.

Du 6 au 23 juin 2024

Du mardi au samedi 20h – le dimanche à 16h

Théâtre de la Tempête, La Cartoucherie, Route du Champs-de-Manoeuvre, 75012 Paris.