Nouvelle de Nicolas Jolivalt
Chapitre 6.
Je fume à la fenêtre, l’aube donne au ciel des couleurs rouge-orangé. Après la nuit violente que je viens de traverser, le soleil est un gage d’espoir. J’essaie de me rassurer.
Je fais le vide autour de moi. Des objets glanés ici ou là. Je descends dans la cave. Un souvenir me submerge. Marche après marche, je m’enfonce dans la terre.
La lumière s’éteint. J’ai dix ans.
On m’entraîne dans ce sous-sol. Des toiles d’araignées autour de moi. De la poussière. On demande de me taire.
On arrive au bout d’un couloir. On me pousse sur un matelas posé à terre. Je tente de me relever. Les deux hommes m’étreignent.
La pénombre laisse entrevoir leurs silhouettes. Ils me touchent. Très vite, ils me déshabillent. Je me mets à crier quand l’un deux pose sa main sur ma bouche. L’autre s’en prend à mon sexe.
Je veux retrouver maman et papa. Ma sœur et mon frère. Etre ailleurs que sous terre.
Mon âme se sauve. Ne leur reste que mon corps. L’un m’ordonne d’ouvrir ma gueule. Un bâton de chair glisse entre mes lèvres. J’ai des haut-le-cœur. L’autre s’abandonne entre mes fesses.
Lorsque je reprends conscience, je me trouve dans la rue. Perdu. Je me sens désarticulé. Mon âme retrouve mon corps cabossé.
Je reste muet aux questions de mes parents. Honte et peur se mélangent. Devant tant d’insistance, je détaille des moments futiles. Le sujet se clôt. On passe à autre chose.
Ce souvenir, longtemps enfoui dans ma mémoire, me hante. La peur de la cave vient peut-être de là. Peur d’enfant.
Je suis à fleur de peau. Sur mon lit, tétanisé par des images violentes. Diapositives négatives.
Dehors, le vent se lève. La clope aux lèvres, mon ciel s’assombrit. Des pétales de pluie tombent. Leur couleur rouge s’écrase sur les vitres. Des litres de sang.
J’entame une bouteille de vin. Je contemple le ciel devenu noir, brumeux. Les voitures roulent à vive allure.
Leurs phares jouent aux ombres du plafond, ballet lumineux. Fantômes malins. J’en ressens des frissons. Je m’endors, ivre, sans horizon.
Au ciel, les anges me couvrent de leurs ailes. Reflets flous. Leurs ombres descendent à ma fenêtre. Autour de moi, le noir. A tâtons, je cherche une issue. Les séraphins, ici fixés, se dressent devant moi. Poignard en main. Le silence se fait. Je perçois leur respiration.
Je vois la lame du couteau s’approcher. Sa lumière me saisit. Ils m’ordonnent de le loger dans mon ventre pour me libérer. Transi.
Je m’exécute. Ils me ceignent. Mon corps saigne.
Alors que ma vie défile, ces êtres déchus, déçus de me voir ainsi, s’empressent d’ôter la lame, perdue dans mes entrailles. Mon corps tombe. Je m’endors. Près de moi, des tombes. Je suis mort.
Mon réveil sonne. Enfoui sous la couverture, je perçois un rayon lumineux. Je glisse ma main vers la lumière, monde aphone. Mon univers détonne. Après de longues minutes, je me lève et me dirige vers la cuisine. Les insectes, présents jusqu’alors, n’en sont allés. Ni les rimes. Un calme sourd remplit l’appartement.
Je m’habille. Je sors.
(à suivre…)