Nouvelle de Nicolas Jolivalt
Chapitre 8.
Je deviens hôte d’accueil. Répondre au téléphone, sourire. Je rêve d’ailleurs. Adieu philosophies et littératures. L’écriture et la peinture deviennent mon oxygène. Je caresse les burn-outs. En douceur, j’attends le summer. Mon mois d’août.
Les couteaux s’absentent de mes cauchemars. A leur place, les médicaments prennent possession de mes idées. Macabres mais colorées. Toutes les formes y sont représentées. Farandole chimique. Clinique. Je me cache sous leurs molécules. Sur ma lune, j’hulule.
Mon travail m’ennuie. On me confie des tâches dépourvues de sens à mes yeux. J’envie mes collègues dans leur fonction. Mais pourquoi ai-je arrêté mes études, ma formation ?
Le poste d’accueil se résume à sourire, à n’être qu’une potiche. Les heures passent lentement. Elles pompent mon énergie et mon intelligence.
Le Lexomil est ma seule chance.
Je m’exile de mon équipe. Je saute les repas. Les pauses me permettent de pleurer. Je prie pour reperdre pied. Les ombres ne se pressent pas. Je prends le fric et le temps s’en va.
Au moindre faux pas dans mon travail, on me convoque. Les mots se valent. Je m’en moque. Les phrases ricochent, se ponctuent, s’étalent. S’’entrechoquent. Champ de bataille. Mon corps se fixe dans la mitraille.
Les ombres ricanent. Les oiseaux déploient leurs ailes. Fuite éternelle. Afin de me protéger des dangers, je mets mon bonnet d’âne.
Je tente de m’échapper en regardant par la fenêtre. L’avenue change de couleurs au rythme des saisons. Je rêve de voir le temps disparaître ainsi que mes humeurs d’abandon. Des documents jonchent mon bureau, feuilles volantes à l’automne. Je les regarde sans grande conviction jusqu’à ce qu’on me l’ordonne.
Le téléphone sonne. Langage normalisé. Articulation. Amabilité. Robotisation.
La répétition à outrance envahit mon quotidien. Mon urgence, c’est de fuir mon gagne-pain.
On passe devant moi sans un regard. Lorsque je pars, pas d’au-revoir. Je me sens transparent. Sur mon bureau, un coupe-papier perlé de sang.
Les diables malins glissent sur mon ombre. Ils la piétinent. Ma conscience tiraillée entre le souffle de vie et le suicide. Les nuages noirs surgissent. Leur ciel s’effondre et gronde.
L’éternel n’existe pas, l’éphémère me tend les bras. A quoi sert de vivre sur Terre, si ce n’est pour y décrire l’Enfer ? Des cachets dans ma poche. La fin s’approche. Présent à mon poste, les ombres m’accrochent, me réconfortent.
Je me réveille. Sanglé dans une chambre d’hôpital. J’ai mal. Je baigne dans mon sang. Mon corps se découpe. La Lune s’empourpre.
Les cloches de la ville me tirent de mon sommeil. Sonorité familière. Recroquevillé dans mon lit, je suis épuisé de ces insomnies. Je me lève, une boule dans le ventre. Je me prépare. Heure tardive. Dans le métro, je suis en retard. Je m’attends à des reproches. Ma vie est moche.
« Alerte à la bombe ». Je souhaite que mon wagon explose. M’ecstasy devant mes ombres. Déflagration. Le sang coule. Horreur parmi la foule. Si Dieu existe, pourrait-Il m’ouvrir ses portes ? Sortie de secours. Exit.
Sonnerie. Les portes se referment, nous repartons entassés. Je descends enfin à Ternes, émotions terrassées. L’avenue de Wagram polluée. J’en profite pour fumer.
Pluie. Ses eaux troublent l’horizon. Aquarelle parisienne. Je me dilue, m’efface sur le béton. Envie diluvienne.
Journées longues. Monotonie. Phrases assassines. Les heures s’allongent.
Mes mains tremblent. La colère monte. Mon cœur bat à tout rompre. Les mots s’étranglent. Des larmes lapidées. Le coupe-papier dans ma gorge. Je m’exsangue. Mon sang étrange gicle sur le clavier. Je m’étrangle. A la règle, je déroge.
Le téléphone sonne. Réveil brutal. Atmosphère familière. Professionnelle. Mon état détonne. Ce monde est gris et ennuyeux. Artiste somnambule, je clown dans la rue et j’écris dans ma nuit. Inconscience de mon état. Des menaces me pressent. Je me mets à nu. Artiste autiste envieux. Des visions d’horreur et de gaieté m’oppressent. Ma lâcheté s’exécute.
(à suivre…)