Margiela Galliera, 1989 / 2009
Du premier défilé de Martin Margiela pour le printemps-été 1989 jusqu’au moment où il quitte sa maison le soir de la présentation du défilé printemps-été 2009, l’exposition présentée au Palais Galliera retrace 20 ans de création de ce styliste belge, ovni s’il en est dans la Haute Couture.
« Par son approche conceptuelle, Margiela remet en question l’esthétique de la mode de son temps. Le créateur étudie la construction du vêtement par sa déconstruction, révèle son envers, sa doublure, le non fini, et rend apparent les étapes de sa fabrication : pinces, épaulettes, patrons, fils de bâti… Il pousse les échelles du vêtement à leurs extrêmes, que ce soit des vêtements oversize, agrandis à 200 %, ou des vêtements de poupée adaptés à taille humaine. Il imprime en trompe-l’oeil des photos de robes, de pulls, de manteaux et impose une nouvelle forme de chaussure inspirée des tabi traditionnelles japonaises – à l’orteil séparé. Margiela interroge la désuétude du vêtement avec sa ligne « artisanale », faite d‘habits vintage ou d’objets récupérés que le créateur transforme en pièces uniques, cousues main ; ou avec sa série « Replica » de vêtements chinés qu’il reproduit à l’identique. Margiela reste le créateur sans visage, sans interview, à la griffe blanche vierge de toute marque. L’homme qui prône l’anonymat est connu non seulement pour son univers blanc, couleur qu’il décline en une multitude de nuances, mais aussi pour ses défilés dans des lieux hors norme : parking, entrepôt, station de métro, terrain vague… À travers 130 silhouettes, vidéos de défilés, archives et installations spéciales, l’exposition Margiela / Galliera offre un regard inédit sur l’un des plus influents créateurs de mode contemporaine. »
Le parcours de l’exposition donne à voir l’étendue de ses recherches pendant ces 20 années :
1989 – 1994 : Dès son premier défilé, il impose la bottine tabi aux pieds des mannequins dont le visage est souvent couvert d’un voile de mousseline ce qui focalise l’attention du public sur leurs tenues. Des répliques historiques de jabots masculins du XVIIIe siècle côtoient des trompe-l’œil de tatouages ethniques imprimés sur un tee-shirt.
Sa maîtrise des techniques de tailleur s’exprime par une carrure étriquée, plus tard baptisée « carrure Margiela », qu’il ne cessera de répéter à chaque collection, en réaction aux larges épaulettes des années 80. Il révèle l’intérieur du vêtement, travaille sur son porté et initie ses recherches sur l’oversize qui se concrétiseront en 2000.
La récupération d’objets en accessoires devient l’une des signatures de Martin Margiela dès son deuxième défilé. En 1990 cette pratique, inédite dans la mode, donne naissance à la ligne « artisanale » récupérant aussi des habits, anciennes robes de bal ou costumes de théâtre, que Martin Margiela transforme en vêtements « neufs ».
1994 – 1995 : Martin Margiela choisit de séparer sa collection en cinq groupes, dont il mélange les éléments pour composer ses tenues.
Parmi eux, le « Groupe III » est le plus retenu du public. Il s’agit de vêtements reproduits de la garde-robe d’un vestiaire de poupée des années 1960 et 1970, agrandis à taille humaine. La coupe exacte et les disproportions ont été respectées. Cette proposition, aujourd’hui emblématique de Martin Margiela, sera reconduite jusqu’en 1999. En parallèle, les vêtements du « Groupe II » matérialisent l’habitude prise par Martin Margiela dès ses débuts de proposer des répliques d’habits anciens : « J’aime les vêtements que je n’ai pas inventés », confie-t-il, allant jusqu’à reproduire les proportions exactes ou les disproportions du vêtement choisi. La ligne « Replica » est née et sera renouvelée à chaque saison.
1996 : La collection printemps-été 1996 est en deux dimensions, sans coupe, ni structure : des photographies en négatif de vêtements sont imprimées sur des matières fluides ou transparentes. Seule l’image en trompe-l’œil apporte le volume. Ces clichés sont pris par quatre photographes proches de Martin Margiela depuis ses débuts : Anders Edström, Marina Faust, Ronald Stoops et Tatsuya Kitayama. Pour la première fois dans ses collections, Martin Margiela crée un imprimé plutôt que réemployer des tissus imprimés. Aux pieds des mannequins les tabi sont devenues invisibles, réduites à de simples semelles de cuir noir retenues aux pieds par des bandes de ruban adhésif transparent.
Martin Margiela crée une collection automne-hiver aux formes simplifiées, traduites dans des matières classiques. Ce défilé de vêtements épurés invite la presse à réévaluer Margiela, non plus comme un créateur « destroy », mais comme un « minimaliste », au grand dam de ce dernier qui ne se reconnait pas dans cette tendance en vogue depuis le milieu des années 90. C’est pourtant cette collection qui attirera l’attention de la maison Hermès pour laquelle il signera les collections de prêt-à-porter féminin de 1997 à 2003.
1997 : Le printemps-été 1997 et l’automne-hiver 1997-1998 sont les deux parties d’une même collection, toutes deux basées sur la réinterprétation du buste de mannequin « Stockman ». Porté en veste ou en plastron, c’est certainement l’une des créations les plus célèbres de Martin Margiela. Le créateur montre ainsi l’envers du décor et dévoile les coulisses d’un atelier de couture en se servant du mannequin couturière comme élément central de sa création pendant deux saisons. Les étapes de fabrication sont pour la première fois de l’histoire de la mode transformées en vêtements.
1998 – 1999 : Martin Margiela décide au printemps-été 1998 de créer des vêtements plats. Le créateur, en unissant deux principes de prime abord inconciliables, le plat et le volume, signe l’une de ses collections les plus conceptuelles grâce à une structure du vêtement totalement repensée.
À l’opposé de ces vêtements en deux dimensions, Martin Margiela détourne une véritable couette qu’il transforme en manteau pour sa collection automne-hiver 1999. Cette pièce, aujourd’hui iconique, peut-être habillée de différentes housses de draps fleuris récupérés. Au summum du confort, ce vêtement est un appel au bien-être à la veille du passage à l’an 2000 et des inquiétudes qu’il suscite.
2000 – 2002 : Première saison du nouveau millénaire, la collection printemps-été 2000, baptisée plus tard oversize, est le point de départ d’une nouvelle période dans le travail de Martin Margiela. Il agrandit pour la première fois toute une collection en taille XXXXL – équivalent d’une taille 78 italienne – en modifiant en profondeur la structure du vêtement. La presse de l’époque reconnaît que cette collection contredit « d’une manière déconcertante la silhouette de son temps, mince et près du corps ». Le concept d’agrandissement est si riche que Martin Margiela le développera sur cinq collections consécutives jusqu’au printemps-été 2002, une attitude unique contredisant le système de la mode obsédé par son renouvellement.
2002 – 2006 : Toutes les collections du créateur répondent à des thèmes précis liés au porté du vêtement et aux gestes qu’il suscite. Retrousser une jupe, enfiler un vêtement à l’horizontal, relever le col d’un manteau sur la tête… En adaptant leur coupe en conséquence Margiela modifie profondément la lecture de ces vêtements du quotidien.
Enfin, la période voit la reconnaissance de la ligne « artisanale » qui, à partir de 2006, sera présentée au sein du calendrier haute couture.
2007-2008 : Le créateur puise dans ses souvenirs d’enfance pour trouver de nouvelles inspirations : du rouge, du bleu, du blanc et du fluo, des imprimés percutants, des rayures, des pois, composent l’ensemble des silhouettes de la période. La ligne des vêtements est épurée, les typologies classiques sont bousculées : pantalon-jupe, robe-body… Margiela qui, lors de son premier défilé, avait réagi contre les imposantes carrures des années 80, travaille sur des épaules nouvelles donnant l’illusion que le corps lui-même a changé́ : invisibles dans un body, en pointes ou en « cône »… ces nouvelles silhouettes témoignent d’une réelle prouesse technique
2009 : Présentés sans chronologie, chacun des 40 passages de la collection – un pour chaque défilé passé – est inspiré par les thèmes et les recherches suivis par Martin Margiela depuis 20 ans. Ce défilé est ici représenté par une sélection de dix silhouettes. En vingt ans, le cr2qteur n’a cessé de questionner la mode, le vêtement et son usage. Son travail sur l’échelle du vêtement, sur la déconstruction du vestiaire classique pour créer des formes nouvelles, sur la carrure dont il a été l’un des rares créateurs contemporains à renouveler le vocabulaire, sur la révélation de l’envers et des étapes de fabrication, l’imperfection considérée comme un motif, le statut du vêtement ancien et de l’objet détourné – voir sa ligne « artisanale » – mais aussi la place du trompe-l’œil, du blanc, de l’anonymat de la griffe, tous ces thèmes renouvelés dans sa dernière collection font de lui, selon les mots de Libération, « l’un des créateurs les plus pointus et les plus talentueux de sa génération ».
Jusqu’au 15 juillet 2018
Palais Galliera
10 avenue Pierre 1er de Serbie
75116 Paris
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h (21 h le jeudi)
Photos in situ : Véronique Grange-Spahis