Merteuil, de Marjorie Franz

La compagnie Prismo présente Merteuil, de Marjorie Franz, au théâtre du Lucernaire, dans une mise en scène de Salomé Villiers.

Voici l’une des dernières lettres du roman de Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, écrite par Madame de Volanges à Madame de Rosemonde :

« Le sort de Mme de Merteuil paraît enfin rempli, ma chère et digne amie, et il est tel que ses plus grands ennemis sont partagés entre l’indignation qu’elle mérite et la pitié qu’elle inspire. J’avais bien raison de dire que ce serait peut-être un bonheur pour elle de mourir de sa petite vérole. Elle en est revenue il est vrai, mais affreusement défigurée […] Vous jugez bien que je ne l’ai pas revue, mais on m’a dit qu’elle était vraiment hideuse. Le marquis de…, qui ne perd pas l’occasion de dire une méchanceté, disait hier, en parlant d’elle, que la maladie l’avait retournée et qu’à présent son âme était sur sa figure. Malheureusement tout le monde trouva que l’expression était juste […] On croit qu’elle a pris la route de la Hollande. »

Marjorie Franz, l’auteure de la pièce, imagine la marquise de Merteuil des années après son exil de Paris. Nous sommes en 1799, la marquise, désormais vieillie, reçoit un billet qui la convie en Picardie, dans une demeure inconnue en pleine forêt. Dans un salon d’hiver, à la nuit tombée, banquette, lumière tamisée, tapis et étoffe colorés, Cécile de Volanges l’y attend.

Tout juste sortie du couvent, Cécile de Volanges avait 16 ans lorsqu’elle devint le jouet du couple cynique que formaient alors la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont. Marjorie Franz écrit le dialogue de cette rencontre quinze ans après les blessures qui ont meurtrie la jeune Cécile, séduite par le vicomte. Qu’a-t-elle à dire, devenue adulte, à la marquise qui l’a tant tourmentée ? Et qu’aura à répondre la marquise pour tenter de se justifier ? L’auteure Marjorie Franz écrit : « Je me suis autorisée à imaginer un dialogue entre deux femmes qui se retrouvent quinze ans après leur dernière entrevue […]L’époque, le langage, les codes d’une société transformée par la Révolution Française… que restent-ils des carcans lorsque la colère gronde ? ».

L’auteure prend soin dans sa pièce de ne pas faire de la marquise un personnage anachronique, trop lié à des débats et à une parole d’aujourd’hui. Si certains arguments qu’elle avance à Cécile pour plaider sa cause trouvent leurs justifications dans l’inégalité criante entre les hommes et les femmes de cette époque, Cécile soulève un paradoxe majeur : la marquise ne peut se défendre d’un comportement outrageant, de ce comportement même qu’elle reproche aux hommes de son époque, au risque de « devenir le bourreau du tyran».

La recherche d’un langage à la manière du roman libertin du XVIIIème nous arrive avec toute sa force grâce à la performance de Marjorie Franz et Chloé Berthier. Une belle expérience langagière.

La mise en scène de Salomé Villiers, sobre et précise, est centrée sur les déplacements des deux femmes qui s’affrontent comme sur un échiquier, et dont les pas constituent autant de mouvements permettant de mener stratégiquement le jeu. 

Perrine Decker

Du 8 mars au 7 mai 2023 du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 17h

Théâtre du Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-champs, 75006 Paris

Réservations : https://www.lucernaire.fr/theatre/merteuil/