Nicolas de Staël : En Provence
Marguerite Yourcenar, quelque part, a écrit que Ruysdaël peignait son âme en peignant des ruisseaux.
Nicolas de Staël peignait son âme tourmentée, son irrépressible mal-être son spleen indéracinable en déréalisant un réel invivable, en transmutant la réalité en un onirique acceptable, réduit parfois aux quelques traces nécessaires mais suffisantes pour cautériser la plaie mais aussi pour capter l’attention, pour partager l’émotion avec le regardeur.
Comme Turner avant lui, comme Monet, de Staël ne s’intéresse au sujet que comme prétexte. Un sujet, presque un alibi, qu’il oublie en peignant, tout entier emporté par la lumière tout entier mobilisé par la couleur.
La couleur, non pas pure sortie du tube comme l’ont voulue les Fauves mais la couleur intense, d’une densité extrême.
La couleur, non pas sage, non pas dans le droit fil du sujet, mais la couleur furieuse que l’artiste tourmente.
La couleur diffractée en une infinité de nuances qui semblent nées des convulsions de la pâte elle-même, qui semblent nées de la spatule ou du couteau.
Une couleur, une pâte qui congédie une réalité trop étriquée, trop prévisible pour lui substituer un irréel désinhibé.
Des ciels rouges ou verts, des routes outremer, des cyprès carmin, bruns ou jaunes, des tons fous.
La création de Nicolas de Staël affronte la création du monde, la triture, la malaxe, la corrige, lui offre des palettes jamais imaginées avant lui.
Nicolas de Staël ne peint pas la Provence il en invente une autre, à sa mesure.
Démiurge, il ne lui suffit pas d’avoir découvert la Méditerranée et le pays provençal pourtant peu avare en couleurs fortes, il lui faut recréer ce monde trop fade, ce monde trop soft pour satisfaire sa terrabilita.
Nicolas de Staël ne peint pas en Vaucluse, dans le Gard à Ménerbes ou à Lagnes, il peint depuis un autre monde. Un monde qu’il est seul à habiter.
Nicolas de Staël a écrit lui-même qu’il était conscient d’avoir atteint, durant sa période provençale, le sommet de son expression, de sa maturité et de son art. Ce sont les chefs d’œuvres de cette période d’une extraordinaire fécondité que Bruno Monier a choisi de présenter en Aix.
Jusqu’au 23 septembre 2018
Hôtel de Caumont
3 Rue Joseph Cabassol
13100 Aix-en-Provence
Tous les jours de 10h à 19h. Nocturnes le vendredi jusqu’à 20h30
Pierre Vauconsant