Faire de ses portraits des fenêtres sur l’expérience vécue par ses sujets, tel est le pari de Patrick de Wilde. Ce pari, on le retrouve mis à l’honneur dans sa dernière exposition à découvrir, La Beauté de l’âge, présentée à l’espace Art Absolument.
Situé à côté de la Bibliothèque François Mitterrand, cet espace à taille humaine nous accueille dans une ambiance lumineuse et épurée à la décoration sobre. Dès que l’on entre, notre regard est happé par les photos présentées. Ces dernières sont le fruit d’un travail d’une trentaine d’années et proviennent de tout autour du monde. Pas de légende ni de titre sous les photographies, mais, un bristol avec un QR code qui, flashé, nous emmène sur le compte Instagram de l’exposition. On peut y retrouver toutes les légendes des photographies affichées écrites de la main de Patrick de Wilde lui-même. Pour ceux moins adeptes de la technologie, un dossier papier est en libre d’accès.
Les premiers portraits que l’on rencontre sont en couleur et représentent un jeune enfant éthiopien qui semble être un enfant soldat. A la droite et à la gauche de son portrait, se trouvent celui d’une jeune fille Malawi et celui d’une autre jeune femme éthiopienne. A travers la pellicule du photographe, les sujets exsudent une force, une volonté de fer et surtout une histoire. La visite se poursuit par des portraits plus petits en noir et blanc, aux sujets plus âgés. On peut voir que la vie a tracé des sillons sur leur visage, mais une vivacité et une force imprenable demeurent. La technique du clair-obscur met en valeur les yeux des sujets qui semblent percer l’âme de celui qui les fixe. L’équilibre entre l’obscur et le lumineux crée une tension semblable à ce qui peut être clairement vu du sujet et ce qui est invisible.
Contrairement à ce que l’on peut penser, le contraste n’a pas été créé grâce à une mise en scène, mais produit en laboratoire, ce qui permet à Patrick de Wilde de « sculpter » les visages et de nous attirer, nous poussant ainsi à découvrir et à lire la légende du portrait.
« On aimerait penser que le visage reflète une essence comme si un fond remontait à la surface. Émanation primordiale récapitulant le vécu. Chaque trait alors soutiendrait une volonté, chaque ride porterait un enseignement, chaque expression révèlerait une faculté. » Patrick de Wilde
Pour Patrick de Wilde, la passion de la photographie a été due à un « feeling progressif » car étant tout d’abord directeur artistique, chef de studio puis directeur de collection et rédacteur en chef, il s’est finalement de plus en plus intéressé au reportage. Tel l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, le photographe est parti à la rencontre de peuples en régions reculées, et c’est lors de ces reportages que Patrick de Wilde va prendre ses premiers portraits. Ces derniers sont d’abord pour son plaisir seul car, selon lui, ce qu’apporte en premier la photographie est de la satisfaction. Grâce à cet amour, le photographe a produit une trentaine de livres et a été exposé au Grand Palais, à la maison de l’UNESCO… et à l’international !
Ses sujets sont « des rencontres au hasard », le photographe mentionne même une « attirance » inexpliquée. Cependant, il ajoute que pour pouvoir prendre en photo il faut être « humble » et créer une confiance avec les sujets car les réactions varient de l’amusement, de l’honneur jusqu’à l’horreur et au refus le plus total. C’est une réaction à laquelle il a dû faire face lors de son reportage sur les derniers coupeurs de tête dans l’État de Nagaland (au nord-est de l’Inde) et où les chefs ont refusé la prise de portraits.
A la question « vous considérez-vous comme un anthropologue ? » Patrick de Wilde à tout de suite répondu oui. Pour lui, il veut capturer l’essence de gens « authentiques », de régions reculées et la photographie est le médium parfait. Cette dernière est pour lui le moyen « d’aller vers les autres » (mais il faut tout de même faire « mollo mollo » lors de la création d’un climat de confiance).
Selon Claude Lévi-Strauss, pour étudier une autre culture il faut savoir faire preuve d’un déracinement, où l’anthropologue doit se retrancher de sa propre société et examiner celle qu’il étudie sans préjugés, telle une ardoise vierge. Alors on peut dire que Patrick de Wilde nous propose à travers ces portraits de nous mettre dans les chaussures d’un anthropologue et de faire face à une culture complètement différente de la nôtre (de plus en voie de disparition). Dans La Beauté de l’âge, les lignes du visage sont non seulement révélatrices d’une histoire mais aussi d’expérience et de culture.
Clara Alle
du vendredi 21 mars au lundi 29 avril 2023
Espace Art Absolument, 11 rue Louise Weiss, 75013 Paris
Ouvert du mardi au vendredi de 11h à 19h et le samedi de 12h30 à 19h – entrée libre