Pro liturgia : ordinatrices du temps présent

En sept œuvres déployées dans les différents espaces de l’abbaye, l’exposition Pro liturgia : ordinatrices du temps présent, conçue par Julien Taïb, commissaire d’exposition, et l’abbaye de Maubuisson, déroule un parcours qui articule art et quotidien technologique.

Principalement portée par des artistes femmes, cette méditation sur le temps présent prolonge l’aventure spirituelle de l’abbaye, foyer de moniales érudites œuvrant à une réconciliation entre le corps et l’esprit, le matériel et l’immatériel.

La « liturgia » dont parle le titre (terme qui désigne d’abord le rituel chrétien et ses outils), invite le visiteur à s’interroger sur son rapport avec les technologies. N’avons-nous pas insidieusement ritualisé notre relation avec nos téléphones et autres appareils de pointe ?

Quant aux « ordinatrices », ce mot joue avec la pluralité de ses significations.

A ses débuts, cette formidable calculatrice qu’est l’ordinateur s’appelait « ordinatrice », avant que le masculin finisse par l’emporter.

De même que des moniales (qui avaient la faculté d’ « ordonner », c’est-à-dire d’élever quelqu’un à l’ordre de l’Église) garantissaient le respect des règles au sein de l’abbaye, ce sont des artistes femme qui aujourd’hui viennent éclairer les consciences sur nos relations ambiguës avec la technologie.

Le visiteur est alerté par des sons et des lumières dont la technologie et la nature se disputent l’origine. Soumis à la tentation ou invité à la contemplation, incité à communiquer ou à regarder en lui-même, il expérimente les contradictions de la technologie, notre actuel veau d’or.

Ainsi dans la salle Capitulaire, on découvre l’œuvre de Laura Haie, Confiez-leur vos désirs.

Un bras robotisé ayant une pince au bout, trempe un morceau de sucre dans une tasse de café pour faire un « canard ».

L’artiste nous interroge sur la place que nous accordons aux machines à chaque fois que nous laissons la technologie remplacer nos gestes humains.

Ensuite, on entre dans la salle du parloir pour être immergé dans les installations sonores de Cécile Babiole.

La première, Bzzz ! Le son de l’électricité, sculpture de fils électrique en forme de chapiteau, interpelle sur ce mythe prométhéen des temps moderne : l’électricité.

L’électricité est également mobilisée par l’artiste dans une seconde œuvre, Copy that, en collaboration avec Jean-Marie Boyer, sous la forme d’un dispositif d’échanges d’ondes d’informations. Les visiteurs peuvent ainsi communiquer d’un bout à l’autre de la salle par de cours messages utilisant les ondes radio.

On accède après cette immersion sonore dans le passage aux champs.

C’est ici que le collectif Iakeri a installé ses Murs invisibles.

Cette œuvre spectrale est réalisée à partir de données traduisant les inégalités sociales entre hommes et femmes à travers le monde.

Ces informations sont projetées sur des sculptures immatérielles, des mobiles rappelant les méduses, renvoyant au mythe de la femme tétanisante.

Puis, on entre dans la salle des religieuses pour un temps méditatif.

En effet, l’œuvre de Marie-Julie Bourgeois,Silence, créée spécialement pour cette pièce, consiste en des projections de lumières colorées qui évoluent dans l’espace au fil de la journée.

L’artiste met ainsi en parallèle la lumière naturelle et vitale, et la lumière artificielle évoquant un rapport au temps que les technologies ont tendance à accélérer.

Dans l’antichambre, Félicie d’Estienne d’Orves recrée, avec son œuvreDeep field, une ambiance de recueillement et de clair-obscur digne des peintures de Georges de la Tour.

La lumière de la chandelle traverse à la fois une lentille et la diapositive d’une vue du satellite Hubble.

Les « espaces infinis », qui effrayaient autrefois le philosophe Blaise Pascal, se trouvent désormais à portée de notre regard, grâce à la technologie.

Le visiteur est amené alors à s’interroger : Qui sommes-nous face à l’infini des mondes ?

Enfin, dans la salle des latrines, Cécile Beau a installé Fontaine Hépatiques.

Cette œuvre reconstitue un « jardin d’Eden », ou jardin des origines, avec des espèces végétales qui n’ont pas évolué depuis l’ère géologique du jurassique.

Ici, un équilibre de techniques anciennes et récentes s’intègre au lieu et permet de maintenir l’équilibre de cette « mini biosphère ».

Olivia Bellin-Zéboulon

du 17 novembre 2019 au 29 mars 2020

Abbaye de Maubuisson, site d’art contemporain du Val d’Oise, avenue Richard de Tour, 95310 Saint-Ouen l’Aumône

ouvert de 13h à 18h (sauf le mardi), samedi, dimanche et jours fériés de 14h à 18h