A sillonner les océans en convoyeuse professionnelle et à revenir inlassablement depuis presque 30 ans sur un légendaire rocher volcanique perdu dans le Pacifique, Delphine a fini par y poser ses pinceaux, sa famille et son âme.
Petite fille de magicien, fille de coiffeurs pour dame, elle porte en héritage l’enchantement et la grâce.
C’est prise au piège d’une autre insularité qu’elle m’accueille de l’autre côté du miroir.
Discrète, pudique, sous la foisonnante protection végétale d’un faré tahitien, nos entretiens rythmant l’attente d’un retour chez soi, Delphine se livre tel un carnet de voyage en réalité augmenté.
Passionnante et passionnée – artiste autodidacte, conférencière, guide à cheval, ensemblière dans le milieu du nautisme international – l’harmonie, l’épure et l’intelligence du propos sont des caps qui dirigent ses choix toujours tournés vers l’authentique Rapa Nui, autrefois nommée Île de Pâques.
Revenons quelques mois en arrière. Quittant son atelier de Puke Hake à peine installé dans une maison créée de ses propres mains avec des éléments de récupération détournés dans un bel ordonnancement, elle embarque courant mars en tant que conférencière à bord du navire de croisière le Soléal de la compagnie Ponant. Etienne Klein, physicien et philosophe des sciences qu’on ne présente plus, en homologue conférencier, est également à bord. Ils naviguent de concert vers Pitcairn.
Le 18 mars, jour anniversaire de Delphine, le confinement est déclaré. Un déroutant cinquantenaire fêté au milieu de nulle part avec l’autorisation… d’aller nulle part.
Michel Tournier en grand voyageur fasciné par le Chili, avec étrangement le 18 en date clef de son existence aurait trouvé en Delphine l’héroïne de ses écrits…Troublante, d’ailleurs, sa ressemblance avec la comédienne Evangeline Lilly de la série « Lost ». Il est des vies plus inventives que des romans. Elle vous dira que ce n’est pas un but, juste un fait. Alors qu’elle confie s’être confinée en pleine conscience depuis 7 ans à Rapa Nui, la voilà de fait confinée mais dans un autre ailleurs.
Au tout début de ce confinement, elle resta à bord, en équipage restreint, le navire amarré au quai du port de Papeete, sans pouvoir mettre le pied à terre. Transformant une cabine de passager en atelier de peinture, elle détourna des cartes marines en supports plastiques. Des mines des crayons de couleurs récupérées au « kid’s club » du bord puis écrasées dans de l’eau furent ses pigments de fortune. Titouan Lamazou, ami de longue date également confiné en Polynésie, parvint par la suite à lui faire passer des toiles et quelques tubes de peinture au travers des barrages de sécurité.
Depuis 5 mois, l’artiste, telle une naufragère des temps modernes, organise son attente dans les limbes du Pacifique espérant retrouver enfin les siens.
Une « Speranza » active et créatrice, la malle à magie remplie des objets fabriqués par feu son grand-père, évoluant au fil du temps vers une immatérialité spirituelle, ne l’ayant jamais quittée.
En spécialiste de l’art Rapa Nui qu’elle inventorie jour après jour, elle immortalise sur ses toiles la vibration de la pierre. Son travail pictural, à destination publique et muséale, frôlant l’hyperréalisme est nourri de ses recherches sur l’histoire de l’Île à travers ses migrations, le travail lapidaire de construction, socles, moais, traditions… 27 années d’anecdotes écoutées en silence auprès des Koro (les anciens), de collaboration avec les Kapo (les meilleurs sculpteurs de l’île), de recherches dans les archives, les vieux documents et auprès des archéologues.
Cette île à nulle autre pareille, elle la parcourt en cavalière chevronnée. Une autre façon d’appréhender la force du lieu. Rien d’étonnant quand on s’appelle Poulain, telle une prophétie, de se sentir le prolongement d’un équidé.
Sa peinture est un medium entre réflexion historico-philosophique au service de l’art et transmission intuitive, dans un regard venu d’ailleurs et qui pourtant se sent enfin chez lui.
Sa peinture est à l’image de ses choix de vie. Elle vise l’essence, l’essentiel. Dans la même veine elle révèle simplement qu’à Rapa Nui « tu es habillé avec la terre ». Celle qui nous nourrit et nous accueillera à la toute fin.
Delphine fabrique ce dont elle a besoin, elle peint ce qu’elle voit, elle sculpte dehors des pétroglyphes qui se retrouvent dedans au gré de l’agrandissement de son nid familial. Comme l’affirme le proverbe « bon sang ne saurait mentir ». Elle est vraiment magicienne.
Avant de refermer le carnet de voyage, toujours en exil, Delphine me fait une dernière confidence en me parlant de sa maison où l’attendent son mari et ses deux fils : « A Rapa Nui, Je peux regarder jusqu’à l’horizon en me sentant en paix, rêves accomplis ».
Texte : Valmigot
Photos : Valmigot et fond Delphine Poulain
RAPA NUI :
Prospections artistiques ; Expositions itinérantes et collégiales avec sculpteurs RAPA NUI ; Découverte de l’île ; Conférence
Pour contacter Delphine Poulain : moaiys@yahoo.fr