Regards croisés à l’Isle Adam

Le Musée d’Art et d’Histoire Louis-Selenq, ancienne propriété de la famille Fritz, créé en 1939 (pas de calendrier fatidique pour l’art et la culture), acquis par la Municipalité en 1990, recèle une collection de peintures de la fin du XIXème & XXème siècles, admirable autant par sa flamboyance que par sa sobriété (comme cette phrase !).

On y retrouve les œuvres les paysagistes Jules Dupré (1811-1889), ici une huile sur toile : « Paysage assise sous un chêne et son chien », Claude Viseux (1927-2008), les terres cuites de Joseph Le Guluche, les dessins de Jules-Romain Joyant (1803-1854). La collection est constituée par de nombreux dons et enrichie par plusieurs dépôts de musées nationaux : Louvre, Orsay ou Versailles…. Rien que ça au parallèle Latitude 49/ Longitude 2. C’est idiot, le paysage on l’avait déjà à l’extérieur… L’Isle Adam est une oasis de verdure luxuriante où coule nonchalamment l’Oise, fleuve qui baigne ensuite « Auvers sur Van Gogh ». Ce paysage, on le retrouve magnifié à l’intérieur d’un musée ultra léché grâce à des tableaux qui respirent la joie, la franche allégresse, l’enjouement voire l’exaltation, sentiments qui appartiennent actuellement au quotidien des Français.

Le musée aurait pu se satisfaire de sa collection permanente. Mais le musée est retors, le musée est taquin, le musée est joueur, le musée est audacieux. Sa conservatrice Caroline Oliveira, de concert avec Agnès Tellier, Maire-adjoint à la culture et au tourisme, de la cité peut-être la plus chatoyante du Val d’Oise, ont voulu promouvoir la création contemporaine émergente au sein d’une institution muséale de territoire. On se croirait littéralement dans le village de la Petite Maison dans la Prairie, version frenchy. Charles Ingalls n’est plus ce prince de Bourbon Conti qui façonnât une large part du paysage urbain actuel. Les Adamois ont choisi une autre dynastie pour les administrer, venue de la lointaine Pologne et autre Courlande qui sert la France et les Français depuis 3 siècles. Serait-ce cela la République Elective ? On compte les Michel, Axel Poniatowski et autres Ladislas…. Aujourd’hui, les gènes du service et du bien public se sont infiltrés dans les manchettes de Sébastien, héritier de cette famille de visionnaires.

Le musée a complexifié sa proposition artistique en invitant les étudiants de l’ENSAPC, acronyme barbare pour désigner la prestigieuse Ecole Nationale supérieure d’Arts de Paris-Cergy (peut-être les futurs Beaux-arts du Grand-Paris si celui-ci-e-l ? parvient à s’extraire de sa raideur budgétaire et de son agilité cérébrale rhumatistique). Les étudiants ont été invité à proposer des œuvres picturales, sculpturales, sonores, des installations des performances ou des projections en résonnance avec une sélection d’œuvres issues des collections permanentes. Et surtout le musée a joué le jeu ! Les réponses de ces artistes ont bousculé les habitudes avec grâce, proposant un nouveau regard dans le prolongement de l’existence de certaines œuvres, dans le respect de la continuité de la tradition. L’image de l’Oise, sa représentation et l’écoulement de ses eaux n’est-elle pas immuable ? La notion de paysage est simplement étudiée avec un vocable contemporain. Les artistes se sont interrogés sur le dialogue entre le beau et le simple et sur l’inter communication des matériaux.

Trois projets ont été retenus par un jury spécial et l’exposition a été co-curatée par Guillaume Breton, directeur du centre d’Art YGREC-ENSAPC et Caroline Oliveira. Une installation immersive à la fois sonore et visuelle du tendre panaméen Hendrik Gonzales interroge le fonds du musée et l’architecture du lieu ; une œuvre peinte et un journal de bord élaboré par la téméraire Clémence Le Boucher d’Hérouville, au fil d’un itinéraire le long de l’Oise et enfin, un ensemble de résines, réservoirs de couleurs cristallisant le fruit des récoltes du génialissime Matthias Odin-Chatelain, sur les pas des peintres des bords de l’Oise.

Hendrik voit sa peinture comme une matière polyforme et propose une installation sonore très photogène avec une narration de la poésie très présente.

La peinture de Clémence vénère la nature avec pour point de départ une marche, une randonnée, faisant elle-même la découverte de l’espace. Elle est partie deux jours depuis son village natal jusqu’à l’Isle Adam. Ainsi a-t-elle pu poser des esquisses sur son carnet de croquis. Cet écran sur mémoire permet au visiteur de se déplacer grâce à un itinéraire immersif. Clémence tient à réveiller l’esprit, la pensée. Mais les grands formats lui tiennent à cœur. Cette œuvre qui clôt l’exposition détache l’instant de son contexte et se fige dans la peinture avec un dialogue compressé entre le temps long ou linéaire et la géographie. Clémence passe du chaos à la lumière comme si c’était une journée normale. Son image mentale conjugue alors les souvenirs. Elle travaille comme dans un puzzle avec une discussion entre la peinture et le collage.

Matthias pose un regard croisé avec Dupré. Sa métamorphose récupère la végétation et les fibres naturelles pour la travailler dans la résine et autres matériaux variables. Selon Matthias, le plastique est le marbre du monde moderne. Matériau décrié, on ne peut pas l’éviter et Matthias préfère l’affronter. Le processus de production est très méditatif. C’est aussi une recherche du plaisir. 7 à 8 couches de résine sont posées et stratifiées. C’est long à sécher et l’artiste ne connait jamais le résultat final. Il s’arrête quand il est satisfait. Différentes temporalités se croisent pour parvenir à une seule chose, une seule photographie. C’est aussi une réflexion sur l’unité du monde

Son installation est une résine sur résidu sur peinture. Le moule est un récupérateur d’eau. Le socle est choisi comme un chevalet. La résine joue avec les effets aquatiques. Encore une fois la technique de Dripping pose une réflexion sur la temporalité de l’art avec pour sujet, le temps qui se croise. L’œuvre prend ensuite son nom dans le regard du spectateur, restant finalement une énigme. Matthias ne sous-estime jamais le regard de l’humanité. Il répond en alchimiste sur le rapport à la matière comme philosophie. Et bien sûr, l’œuvre demeure toujours plus importante que l’artiste. Clémence et Matthieu ont posé pour Itartbag en regard croisé sur l’œuvre de leur comparse ainsi que Hendrick au centre de sa performance immersive.

Philippe de Boucaud

Du 6 novembre 2021 au 13 mars 2022

Musée d’Art et d’Histoire Louis Senlecq, 31 Grande Rue, 95290 L’Isle-Adam

du mercredi au dimanche de 14h à 18h, (uniquement lors des expositions temporaires) – Fermé le lundi, le mardi et les jours fériés 

Accès depuis Paris par le train : Gare du Nord (direction Persan-Beaumont par Valmondois – ligne H) – Arrêt gare de L’Isle-Adam-Parmain – Le musée est en centre-ville à 7 minutes à pied

https://ville-isle-adam.fr/musee