A l’occasion de son exposition Poetry of the Earth à la Maison Européenne de la Photographie, nous avons pu poser nos questions à la photographe suisse Maya Rochat, nous permettant d’en apprendre plus sur son parcours, ses idées, et ce qu’elle cherche à transmettre à travers ses œuvres.
Quel est votre parcours scolaire ? Comment avez-vous commencé ?
J’ai commencé à l’ECAL où j’ai postulé en section artistique à l’âge de 20 ans. Pour moi il était clair que je voulais faire de l’art mais la photographie s’est un peu imposée à moi car mon dossier était plus photographique que dans ma pensée. Je suis donc entrée dans cette section et c’était magique de découvrir la création d’image avec un appareil photo. A partir de là et pendant presque trois ans je n’ai travaillé qu’avec de la photographie, tout en utilisant des outils comme la peinture et le collage.
Vous étiez déjà très attirée par le milieu artistique et c’est la photographie qui s’est « imposée » à vous. Est-ce que vous diriez que vous l’avez choisie ou qu’elle vous a choisie ?
C’est plus que ça m’est arrivé dessus. Au départ je n’avais aucune idée de ce qu’était la photographie, et puis quand on m’a proposé une place dans cette section je me suis dit « tiens c’est intéressant d’apprendre un métier ». Dans mon esprit, il était en pratique plus facile de gagner ma vie en tant que photographe que peintre par exemple. Et surprise, je suis tombée en amour avec cette technique. Elle sert les propos dont on l’investit avec une certaine efficacité. La photo est une technique avec ses spécificités propres, comme le livre, la peinture, la performance, chaque médium permet de dire quelque chose avec précision.
Pour autant, ce qui est assez intéressant c’est que vous n’utilisez pas que la photo.
C’est le mélange des différentes techniques qui m’amuse, moins par le côté purement « technique » mais plus pour aboutir à des résultats hybrides qu’on n’a pas l’habitude de voir. Je cherche à créer des images intrigantes, une matière qu’on n’a encore pas vue. Je crois que quand on découvre quelque chose de nouveau, c’est là aussi où l’œil est excité et où il devient curieux.
Est-ce que vos parents vous ont soutenue dans ce projet ? Est-ce que votre famille est intéressée par le milieu artistique ou est-ce que c’est vous qui avez en quelque sorte introduit ce milieu dans la sphère familiale ?
J’ai toujours été soutenue, notamment par ma mère qui est une femme très créative et qui a créé la marque de vêtements écologiques « Breath of fire » il y a déjà 15 ans. Même les membres de ma famille qui étaient moins « branchés » art, pour eux c’était entendu que si cela me rendait heureuse alors c’était très bien. C’est un combat que je n’ai pas eu à mener !
La nature est un thème récurrent dans vos œuvres, est ce qu’elle constitue votre principale source d’inspiration ?
Je m’intéresse aux questions philosophiques ; avant la nature c’est la vie qui m’inspire. C’est la raison pour laquelle je trouve l’art intéressant, on peut parler des idées et émotions qu’on ne peut pas exprimer avec des mots. Ce sont toujours mes propres expériences qui m’inspirent. En étant plus jeune, j’ai grandi dans un moulin reculé dans la forêt de Bavois en Suisse, la nature est donc constitutive de ce que je suis. Puis, en découvrant la vie urbaine, j’étais inspirée par la musique, le monde de la nuit, le fait d’être une femme dans la société. Avec le temps, j’ai commencé à regarder le monde qui m’entourait, et c’est comme ça que j’en suis arrivée à la question de l’environnement en tant que telle mais aussi parce qu’elle faisait partie des conditions de (sur)vie et d’évolution, de toute personne. Je fais malgré tout attention à la manière dont je traite le sujet parce qu’aujourd’hui on parle beaucoup d’écologie, de nature en général et c’est vite usurpé ou mal compris.
En parlant d’écologie, est ce que vous pourriez nous expliquer votre vision des choses sur le sujet ? c’est un sujet qui revient beaucoup dans vos œuvres. Cette confrontation avec la ville a dû être un peu rude.
Ce qui m’apparait aujourd’hui c’est la terreur qui règne à ce sujet car on se rend compte que notre monde est en train de changer. Le relai d’information n’est pas positif, je trouve qu’il y a une grande culpabilisation de la population et cela me dérange de voir qu’on accuses les couches sociales inférieures, alors que c’est un problème systémique qui doit être géré collectivement, et de manière politique. J’ai envie de croire que l’écologie n’est pas un sujet extérieur à nous mais un passage vers la redécouverte d’un nouveau sens éthique. La nature ne nous appartient pas, ce n’est pas un environnement duquel on est indépendant, c’est cela que j’ai envie de mettre en évidence : quelle chance folle d’avoir cette vie organique avec laquelle on cohabite et d’apprendre à coexister ! Par ailleurs, j’aimerais inviter à arrêter de se focaliser sur ce qui est irrémédiablement détruit mais qu’on se questionne sur la manière d’arrêter le carnage et de prendre soin de ce qui existe encore. Je comprends l’agacement des activistes qui doivent « hurler » pour être entendus alors qu’en réalité il y a comme une incapacité d’entendre. Je ne pense pas que ce soit parce que les gens ne prêtent pas attention à ce qu’il se passe mais plutôt parce que d’une part c’est terrorisant, et d’autre part parce que les solutions d’aujourd’hui ne sont pas à la hauteur du challenge.
On retrouve ce cri du cœur à travers votre art, comme si vous souhaitiez ramener la beauté à travers l’art. Comment arrivez-vous à trouver ce qui mettra en lumière certains aspects de votre art ?
La beauté et la bienveillance sont les outils. Quand je contemple la nature c’est cette magie que j’observe et je me demande comment la ramener dans notre vie. Je cherche à recréer l’expérience de l’émerveillement. Dans les caissons lumineux exposés actuellement à la MEP, il y a des films polarisants qui sont glissés à l’intérieur des cadres et qui changent la couleur de l’œuvre quand on se déplace face à elle. C’est une chose qu’on ne connait pas et que notre œil doit découvrir. C’est le corps qui interagit avec la pièce, c’est grâce au mouvement et à la curiosité de celui qui regarde que d’un seul coup des nouvelles couleurs apparaissent. Il s’agit aussi de créer une expérience : Qu’est-ce que regarder ? Regarder une deuxième fois ? C’est créer des œuvres qui vont vers celui qui est dans la pièce, et pas des œuvres qui attendent d’être vues. En somme j’essaie de créer une interaction entre l’art et celui qui observe.
Pour cette exposition, j’ai été surprise de redécouvrir une certaine violence dans mes travaux plus anciens (Vote for me ! Ma tête à couper) qui a quasiment disparu aujourd’hui. Cela reste un travail qui n’est pas forcément léger par ce qu’il suggère mais qui en même temps n’a plus cette violence directe à l’intérieur de lui-même. Peut-être qu’il y a dix ans on avait besoin d’être secoués, pour autant aujourd’hui je crois qu’on a besoin qu’on prenne soin de nous, qu’on nous fasse du bien.
Comment vous est venu à l’esprit d’utiliser ces filtres polarisants et tous ces mediums ?
C’était un long processus, j’aime bien travailler en « série » avec une idée de base qui en amène une autre. J’ai commencé mon travail de la performance avec l’envie de partager le processus créatif donc j’ai commencé à peindre sur des rétroprojecteurs qui diffusent la lumière dans l’espace. Pendant le covid, comme on ne pouvait plus voyager, je me suis demandé comment recréer une expérience d’une œuvre vivante et d’un jeu de la lumière dans l’espace sans que je sois présente ? Dans mes œuvres, ce rétroéclairage me permet de rejouer ce dispositif du rétroprojecteur. Pour cette série « Poetry of the Earth », les diapositives (« Fleurs protégées de la Suisse » récupérées à la société de mycologie de Bevaix en 2019) sont la base de l’œuvre, qui a la capacité d’être traversée par la lumière projetée dans l’espace. Avec cette technique on constate un retour en arrière avec des techniques « old school », avec des images prises dans « l’ancien » et qui sont ensuite projetées dans le futur.
Vous dites être très intéressée par l’astrologie, est ce que vous pouvez nous en dire un peu plus ?
C’est arrivé dans un moment où je faisais beaucoup de peinture et quasiment plus de photos, et mon travail commençait à ressembler au cosmos. En regardant ces peintures, je me suis dit qu’on ne savait pas vraiment si on regardait quelque chose de minuscule ou d’infiniment grand. J’ai commencé à chercher les images du cosmos, qui sont d’une beauté absolument troublante, et j’ai fini par craquer et m’acheter un télescope amateur qui m’a permis pour la première fois de voir la lune et ses détails de mes propres yeux.
Ça a été un moment extrêmement émouvant parce qu’on se rend vraiment compte que quelque chose se passe dans l’image qu’on voit face à nous. On a beau avoir vu des centaines et des milliers de photos de lune, quand on la voit avec ses propres yeux, c’est assez étrange, on prend conscience de la réalité des choses. Tout cela a généré de nombreuses questions physiques et métaphysiques, cela fait voyager l’esprit de regarder cet univers et de prendre conscience du peu d’activité (à notre échelle) qu’il y a dans l’espace quand on le compare avec le fourmillement de l’activité sur Terre.
Tous ces questionnements que ça a engendré chez vous, est ce que vous avez essayé de les pousser en vous intéressant à d’autres disciplines pour le retranscrire dans vos œuvres ?
Oui, j’ai connecté toutes ces découvertes à mon travail en réalisant que, quel que soit l’espace, qu’il soit infiniment grand ou infiniment petit, ce sont toujours les mêmes dessins qu’on observe. Que ce soit fait par la main de l’homme, disons de manière artificielle avec des peintures, ou que ce soit dans l’espace de manière naturelle, finalement les dessins sont répétitifs.
Est-ce que vous avez pris des photos de ce que vous avez vu et essayé de les insérer dans vos œuvres ?
Oui, j’ai essayé de photographier ! Techniquement je ne suis pas encore arrivée à ce niveau mais peut être que j’aurai envie d’en faire quelque chose par la suite. Pour le moment, j’essaie de me contenter de rêver à ce que peut être l’espace, puis de créer des images qui iraient dans cette direction. Et puis en même temps c’est en regardant l’espace qu’on prend conscience de la préciosité et de l’incroyable vie qui se passe ici. Finalement, je suis beaucoup plus fascinée de ce qui se passe sur terre maintenant qu’avant cette prise de conscience de ce qui nous entoure.
Est-ce qu’il y a qque chose que vous voudriez que les lecteurs sachent en allant voir votre exposition à la MEP ?
J’ai essayé de recréer un espace où on est accueilli avec bienveillance, un espace non jugeant qui est juste là pour donner à voir de la beauté, faire du bien et apaiser. Je ne suis pas là pour donner des leçons sur ni l’écologie ni sur quelconque autre sujet. J’ai plutôt envie de poser la question « comment vous vous sentez, qu’est-ce qui est beau pour vous à titre personnel ? ». J’ai envie de redonner la possibilité de rêver, de recommencer à croire à un monde qui est et sera beau, et peut être que l’art peut amener cela dans la vie des gens.
Si vous souhaitez découvrir son travail plus en détail, nous vous invitons à aller visiter l’exposition Poetry of the Earth de Maya Rochat disponible jusqu’au 1er octobre 2023 à la Maison Européenne de la Photographie.
Apolline d’Hoop
photos : Maya Rochat
Du 7 juin au 1er octobre 2023 pour l’exposition Poetry of the Earth
Maison Européenne de la Photographie, 5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris
Mercredi et vendredi 11h – 20h ; Jeudi 11h – 22h ; Le week-end 10h – 20h (Créneau réservé aux abonnés le dimanche de 10h à 11h) ; Fermé lundi et mardi