Rien, plus rien au monde

Plus rien au monde

Drôle de parcours que celui de Fabian Ferrari, le metteur en scène de ce spectacle décapant. Pendant de nombreuses années, il évolua dans le domaine de la haute finance. Crise de la quarantaine ou sentiment de ne pas être à sa place, il plaque tout pour se lancer dans une nouvelle carrière et par là une nouvelle vie. Après avoir suivi assidument les cours d’une école de théâtre, je le découvre dans une pièce mise en scène de manière collégiale, « Autour de ma pierre, il ne fera pas nuit » et un one-man show où il s’amuse avec délice des textes de Pierre Dac, Jean Yanne et Francis Blanche, « Si la matière grise était rose, plus personne n’aurait d’idées noires« .

Une reconversion pour le moins réussie puisqu’il enchaine désormais les projets dont ce brulot sociétal qui fait vraisemblablement écho à la prise de conscience du monde qui l’entoure, un monde sans rapport aucun avec le milieu aseptisé de la banque dans lequel Ferrari ne se reconnaît plus. Alors tant qu’à mettre en scène une œuvre en contrepoint total avec son passé, autant choisir un texte exigeant, coupant comme une lame de rasoir, car la vie est tout sauf un long fleuve tranquille.

 

Son choix se porte donc sur Massimo Carlotta, auteur de romans noirs assez peu connus en France. Il conte dans ce « Rien, plus rien au monde » – en temps réel – l’heure qui suivra la survenance d’un fait divers sordide, terrible de signification sur ce que le quotidien réserve aux infortunés, contraints de se battre chaque jour pour survivre sans jamais vivre l’essentiel. Cette femme arrive à un tournant de sa vie. Comme des millions de petites gens, elle fait des ménages pour compléter le maigre salaire que ramène son mari. Elle se sent seule, incomprise, délaissée. Elle fonde quelque triste espoir que sa fille ne vive pas la même chose mais ne détient pas les clés d’une réussite en forme de miroirs aux alouettes. La gamine n’est pas très intelligente mais sexy alors pourquoi ne tenterait-elle pas sa chance à la télévision puisque trémousser son joli popotin suffirait à la rendre riche et célèbre ?

 

Oui mais voilà, le succès ne se décrète pas aussi aisément. Et les enfants ne suivent que rarement les conseils que les parents leur prodiguent. En l’espèce, la jeune fille en question n’en a cure et cache bien d’autres rêves mêlés de rébellion sourde et de haine adolescente dans un journal intime sur lequel sa mère aura le malheur de mettre la main. Amandine Rousseau incarne avec une puissance et une économie d’effets la folie s’emparant peu à peu d’une femme au bord du vide, folie qui la conduira à un moment de rage, d’égarement qu’elle ne saurait expliquer. La douleur, l’alcool, l’indifférence, le rejet, l’absence d’amour… tout sera balancé à la gueule du spectateur abasourdi par la violence des mots.

La mise en scène est économe d’effets, elle aussi. Un intérieur esquissé, une lumière bleue blafarde rendant le trouble pour ne pas dire un certain onirisme à ce monologue sorti d’un enfer bien réel. Toute l’attention est focalisé sur cette robe ensanglantée et celle qui la porte, sur la futilité et l’horreur de ce qu’elle aura traversé jusqu’à l’instant fatal, irréparable. Elle sait ce qui l’attend malgré l’effroi qui la saisit, malgré la confusion qui règne en son esprit au point de se préoccuper davantage de la tenue à enfiler pour être présentable à l’arrivée de la police que du drame dont elle est autant victime que coupable. La pièce comme son metteur en scène et son interprète mériteraient toutes les récompenses. Pas tant pour les louanges parce que tout ce qui brille n’est pas d’or. Mais bien parce qu’il s’agit d’un petit chef d’œuvre à côté duquel il ne faut pas passer.

©Sandra Guignard
©Sandra Guignard

 

Rien, plus rien au monde

Un huit clos à l’humour corrosif. Venez retrouver Juliette, une femme attachante qui nous raconte son quotidien ponctué d’alcool, de téléréalité et de magazines people. Abrutie d’alcool et de téléréalité, une mère de famille à bout de souffle reporte tous ses espoirs sur sa fille. Elle sombre dans la folie tout en criant sa rage face aux immigrés, à la difficulté de joindre les deux bouts, au besoin de consommer pour exister, à la fin de la classe ouvrière et à la misère sexuelle de son couple forcé à baiser au Viagra. Un texte féroce à et ironique à l’humour achevé.

Ce monologue sociétal, frontal et cruel est présenté pour la première fois au festival off d’Avignon. Il est signé Massimo Carlotto, auteur italien de romans noirs fréquemment adaptés au cinéma et en bandes dessinées. Le spectacle a également été donné à plusieurs reprises en Suisse dont est originaire le metteur en scène.

Auteur : Massimo Carlotto
Mise en scène et scénographie : Fabian Ferrari
Avec : Amandine Rousseau

Teaser : https://www.youtube.com/watch?v=5gf2Cj6fC5A

Théâtre de la Contrescarpe
5 rue Blainville, 75005   Paris
jusqu’au 26 décembre, les lundis à 20h et dimanches à 15h

David Fargier – Vents d’Orage