Naïf, l’art de Roger Ballen ? Trop maîtrisé pour ça !
Brut, l’art de Roger Ballen ? Trop prémédité pour ça !
Ni vraiment art naïf, ni foncièrement art brut … quoi alors ?
Au secours ! Au secours les néologismes les mots inventés pour attraper, pour capturer, pour tenter d’apprivoiser la création foisonnante autant que dérangeante du Sud Africain.
Cauchm’Art serait peut-être le plus juste pour dire cette production hantée par toutes ces images, ces signes, qui ne semblent raconter, en passant par une incroyable créativité, une incessante sinuosité, une infatigable diversité, une seule et même histoire, une seule et même angoisse : non pas celle de la mort mais celle de la destruction des êtres, des corps, et de leur environnement proche (la chambre, le bureau, le salon).
Au rez-de-chaussée, dans l’espace « installations », perché sur un tabouret, Roger Ballen – tel Dieu himself – contemple sa création, ses créations qu’il a lui-même détruites, écrabouillées, désarticulées, déchirées, raturées, effacées comme si, dans son projet, la phase création n’était que la première étape et la phase destruction – le seul projet ayant jamais compté.
Appareil photo en main le créateur règne, impavide, sur un paysage de désolation : Canapés effondrés sur lesquels s’agitent immobiles des mannequins désarticulés sur fonds de dessins où traîne l’ombre de Dubuffet et son refus du « beau dessin », fauteuil où une vieille femme devenue spectre sourit comme la mère d’Anthony Perkins dans Psychose, bestioles inquiétantes rampantes ou volantes, figées contre un mur aussi vraisemblables qu’irréelles. Images de dévoration où s’affairent d’innombrables rats échappés de boîtes crâniennes ou de cages à oiseaux ouvertes.
À l’étage (qu’on nous invite à voir d’abord) c’est pourtant la suite pour ne pas dire la conséquence, la mise en image photographique.
Des images cadrées, carrées, toutes de même dimension qui en nous obligeant à focaliser dans les limites d’un encadrement noir, ne nous autorise aucune échappatoire. Le projet est là dans toute sa morbidité.
Aucun moyen d’éviter la fascination.
Aucun moyen de ne pas se poser la question que notre actualité climatique nous invite à penser.
Et si la Création avec un grand C n’avait été que le prélude à une destruction programmée non par Dieu mais par la nature elle-même qui n’a que faire des hommes ?
Autre question : pourquoi trouvons-nous de la beauté dans toute cette horreur ?
Roger Ballen n’a pas créé son univers en six jours mais au cours d’une carrière déjà longue passée à débusquer ses phobies, appareil photo ou crayons et pinceaux en main.
Pierre Vauconsant
Jusqu’au 31 juillet 2020
Halle Saint-Pierre, 2 Rue Ronsard, 75018 Paris
Du lundi au vendredi de 11h à 18h – samedi de 11h à 19h -dimanche de 12h à 18h
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