En 1917, la révolution d’Octobre provoque un bouleversement de l’ordre social dont les répercussions sur la création artistique s’avèrent déterminantes. De nombreux artistes adhèrent au projet communiste et veulent participer par leurs œuvres à l’édification de la société nouvelle. Conduits pour la plupart par d’authentiques convictions, à l’instar de Maïakovski, ces artistes s’opposent dans la définition de ce que doit être l’art du socialisme. Mais dès la fin des années 1920, les débats sont clos par la mise en place du régime stalinien. Celui-ci entraîne l’instauration progressive du réalisme socialiste, doctrine esthétique qui régit peu à peu tous les secteurs de la création. Dans les pays capitalistes, ces débats sont suivis avec attention : de multiples échanges artistiques se nouent avec la jeune Russie soviétique, qui attire intellectuels et artistes curieux de découvrir la « patrie du socialisme ».
La première partie de l’exposition met en exergue les débats
qui animent avec vigueur la scène artistique soviétique au lendemain de la
révolution et se prolongent durant les années 1920 : que doit être l’art de la
nouvelle société socialiste ? Le parcours s’articule autour du projet porté par
une large part des avant-gardes : abandonner les formes d’art jugées «
bourgeoises » au profit d’un « art de la production » susceptible de participer
à la transformation active du mode de vie. Le design, le théâtre, le
photomontage et le cinéma s’affirment comme les médiums privilégiés de cette
entreprise radicale, autour de figures-clefs comme Gustav Klutsis, Vladimir
Maïakovski, Lioubov Popova, Alexandre Rodtchenko ou Varvara Stepanova.
L’architecture constructiviste se place au service de la « commande sociale ».
Elle invente de nouvelles typologies de bâtiments – clubs ouvriers, habitats
collectifs – et rêve de villes idéales.
Cette utopie artistique de fusion de l’art dans la vie est rapidement
contrariée par l’hostilité croissante du pouvoir bolchevique vis-à-vis des
avant-gardes. Ceux-ci favorisent un art « compréhensible des masses »,
reflétant les transformations en cours de la société, tandis que sont
organisées sur le territoire soviétique de grandes expositions consacrées à
l’art révolutionnaire des pays capitalistes, notamment allemand (1924).
La concentration des pouvoirs entre les mains de Staline, totale en 1929,
entraîne la fin du pluralisme défendu jusqu’alors par Trotski ou Boukharine.
Alors que la répression s’abat sur l’art de gauche, accusé de « formalisme
bourgeois », un consensus s’établit autour de la figuration, considérée comme
la plus apte à pénétrer les masses et à leur présenter les modèles du nouvel
homme socialiste.
Un groupe d’artistes modernistes, formés à l’école des avant-gardes, joue un
rôle central dans la lente définition des fondements picturaux du réalisme
socialiste : la Société des peintres de chevalet à Moscou – avec Alexandre
Deïneka ou Youri Pimenov – et le Cercle des artistes à Leningrad – Alexandre
Samokhvalov ou Alexeï Pakhomov – proposent une peinture monumentale célébrant
des héros idéalisés, dont l’exposition rend compte par grandes sections
thématiques consacrées notamment au travail ouvrier, au corps et à l’avenir
radieux.
Un ensemble spectaculaire d’œuvres sera également consacré à
l’architecture stalinienne qui, comme la peinture, se monumentalise : tandis
qu’ouvrent à Moscou les premières lignes de métro, aux stations luxueusement
décorées, des projets pharaoniques sont conçus pour faire de la ville une
capitale mondiale. De fait, Moscou accueille alors de nombreux artistes de
l’Internationale communiste, de John Heartfield à Diego Rivera, pour des
séjours plus ou moins prolongés.
L’exposition se conclut par une sélection d’œuvres témoignant de l’avènement du
dogme réaliste socialiste, à travers des tableaux de facture académique qui
mettent en scène la figure mythifiée du chef en recyclant les poncifs de la
peinture d’histoire. Entièrement assujetti à l’idéologie, transformé en machine
à produire des images, l’art se noie dans un kitsch d’état.
Un tour à la boutique s’impose avec un vaste choix
d’ouvrages historiques, artistiques, jeunesse ainsi que des produits
spécialement conçus en regard de l’exposition.
commissariat : Nicolas Liucci-Goutnikov, conservateur, assisté de
Natalia Milovzorova, chargée de recherche au Musée national d’art moderne,
Centre Pompidou
scénographie : Valentina Dodi et Nicolas Groult
Jusqu’au 1er juillet 2019
Grand Palais
3 Avenue du Général Eisenhower75008 Paris
Lundi,
jeudi, vendredi, samedi et dimanche de 10h à 20h. Mercredi de 10h à 22h. Fermé le
mardi.
Photos in situ : Véronique Grange-Spahis