Même si ce mythe est inspiré du fait divers célèbre des procès en sorcellerie de Salem en 1692, la Cie le Tambour des Limbes rejette tout manichéisme et revisite les interprétations passées. En cela, Rémi Prin monte une pièce fine et originale qui donne à entendre toute la complexité des accusées. Nous redécouvrons cet évènement grâce à un œil neuf et pertinent, loin du parti pris d’Arthur Miller dans Les sorcières de Salem qui lui, favorisait le point de vue des villageois accusés à tort par les prétendues sorcières.
Nous rentrons dans le petit théâtre de Belleville, nous nous installons dans les fauteuils un par un tout en discutant, observant et attendant que la pièce commence…
Tout à coup, la lumière est à peine éteinte que les actrices sont déjà sur scène à nous offrir leur interprétation talentueuse.
Ce premier tableau nous plonge instantanément au cœur d’une ambiance sombre, mystérieuse et mystique. Quatre femmes, quatre personnalités, quatre ambitions et quatre milieux différents qui s’associeront malgré tout pour prononcer des vœux lors d’un rite païen.
Mais, cet acte innocent sera jugé sorcier…
Le début de leurs persécutions commence dans ce village hors du temps, à Salem. Nous les suivons dans plusieurs espaces aux décors simples sublimés par les lumières et les sons d’une mise en scène brillante. Chaque huis-clos représente un champ fermé où elles se réfugient pour échapper à la haine des villageois. A l’heure où les rumeurs explosent, où la superstition culmine, elles savent bien que leurs vies sont en dangers, qu’elles n’ont plus qu’une chose à faire : se protéger et gagner du temps.
La tension monte, les débats sont puissants, la peur les gagne férocement, des stratégies émergent, la division est palpable et la mort les guette. La foule les persécute, le pouvoir les écrase, la violence domine. Voilà dans quelle atmosphère ces femmes attendaient leur condamnation…
L’obscurité de la scène nous plonge dans un climat angoissant, des bruits inquiétants nous oppressent…
Peu à peu, malgré elles, pour sauver leur peau, ces quatre victimes vont devenir des bourreaux.
Cette pièce est renversante, troublante et d’une grande intensité.
Ce qui fait la force de Salem est pour moi, avant toute chose, l’écriture collective de Flora Bourne-Chastel, Elise d’Hautefeuille, Naima Maurel, Rémi Prin et Louise Robert. Chaque comédienne a écrit son acte afin que le spectateur ressente quatre visions différentes. Chacune a aussi écrit un monologue qui fait transition entre les actes. Elles sont toutes transcendées par leur rôle, incarnent parfaitement leur personnage avec une sensibilité et un imaginaire propre.
Ces femmes ne sont donc plus « les sorcières de Salem » mais existent ici par elles-mêmes en nous exposant toute l’ambiguïté humaine. Salem nous embarque dans un espace hors du temps en mélangeant des objets de différentes époques pour nous montrer que ce fait divers tant médiatisé n’est pas que l’histoire d’un moment présent mais qu’il est intemporel, présent dans tout système, à toutes les époques, quel que soit le milieu d’où l’on vient. La soif du pouvoir nous aveugle et la violence nous habite. Pourtant, l’humain ne peut, rarement, y échapper.
Rémi Prin, Flora Bourne-Chastel, Elise d’Hautefeuille et Louise Robert nous ont interrogés par une mise en scène et un jeu puissant qui ont su bousculer les idées reçues.
Après beaucoup d’émotion, de tension et de suspense, on reprend sa respiration mais le constat perdure : comment échapper à la part d’ombre présente en chacun de nous ?
Mathilde Nicot
Salem de Rémi Prin
Du dimanche 5 septembre au mardi 28 septembre 2021
Théâtre de Belleville, 16, Passage Piver, 75011 Paris
Lun. 21h15, Mar. 19h, Dim. 20h
Lien qui vous mènera sur le site du théâtre : https://www.theatredebelleville.com/programmation/salem
Bande Originale composée par Léo Grise disponible sur toutes les plateformes de streaming