Sous les draps et dans les fils (d’actualité) : l’intime dévoilé

Dans notre monde de l’hyper-connexion à outrance, du culte de l’instantanéité et de la boulimie visuelle — pour reprendre la célébrissime formule de Sontag — qu’est-ce encore que « l’intime » ?

Un bref périple linguistique nous permet de lever le voile sur ce qui est, pour notre génération, un sujet de préoccupation et de mutations alarmantes. Le terme « intime » trouve son origine dans le latin intimus, qui désigne « la partie la plus profondément à lintérieur » ; un superlatif qui incite à réfléchir sur les transformations que cette notion si vitale, a subies au cours de ces quelques dernières centaines d’années. Existe-t-il encore, aujourd’hui, une telle chose que « le privé », un lieu préservé des regards, des caméras, sans rien ni personne d’autre que soi-même, alors même que les réseaux et les écrans prônent la constante exposition de soi ?

Question pressante à laquelle la nouvelle exposition proposée par Le Musée des Arts Décoratifs, et si sobrement mais ingénieusement intitulée : lintime de la chambre aux réseau sociaux, tente d’apporter des pistes de réflexion à défaut de réponses définitives.



Étape 1 : Le huis clos d’une chambre à soi.

Quoi de plus intime qu’un lit ? Objet qui accueille nos nuits, nos corps mais aussi nos pratiques les plus humaines : dormir, bien sûr, l’amour, parfois ; la chambre est un espace hautement symbolique. S’y tisse une fabrique de l’intime, cette grande entreprise qui se cristallise avec l’essor de la société bourgeoise, et qui commence par segmenter la vie en espaces.

Ainsi, c’est en voyeur que l’on déambule à travers l’agencement ingénieux d’œuvres picturales (de Kupka, à Picasso en passant par Degas), d’objets décoratifs en tous genres (pots de chambre, sex toys, objets de surveillance), de photographies (entre Brassaï et Zanele Muholi) ; le reste, parce qu’il y en a tant, c’est encore à vous de le découvrir.

Avec cette exposition, le MAD, porté par la vision de sa commissaire d’exposition Christine Macel, a su, une fois de plus, rendre hommage à ses qualités en matière de scénographie muséale et de multimédialité. Comme l’entend le musée depuis longtemps déjà, ce n’est pas qu’une exposition pour voir, c’est aussi une exposition pour toucher (et pas qu’avec les yeux) et pour réfléchir : en véritable acteur du parcours d’exposition, l’on est constamment sollicité et amené à faire l’histoire du musée et de ses thèmes en parallèle avec lui.

Étape 2 : La vulnérabilité de la salle d’eau.

Si la chambre évoque les confins chaleureux d’une nuit, l’espace de la salle d’eau, lui, évoque un lieu de première importance pour notre intimité la plus vulnérable. Là même où les gestes les plus humains se dérobent à la pudeur, le MAD bouscule nos repères : sur les cimaises les grands clichés de Nan Goldin et les clichés-témoignages de l’installation au sein de la Womanhouse de Cindy Sherman, rappellent les limites de notre regard sur l’intime. En perturbant la frontière entre ce qui est « montrable » et ce qui ne l’est pas, elles ouvrent une brèche dans notre conception de l’intime, et mettent en scène un véritable spectacle.

En slalomant entre baignoires, affiches publicitaires et baigneuses peintes à l’huile, l’on comprend, petit à petit, que l’intime c’est aussi l’espace de l’élaboration méticuleuse du soi qui passe par : l’apprêtement (dans les vitrines : poudriers, étalage de rouges à lèvres, brosses à cheveux et nécessaires de toilette), le regard (aux murs : miroirs, mais aussi écrans de téléphones portables, ne manquant pas de souligner les mutations que subissent nos habitudes liées au regard de soi, et aux regards des autres), le détail final (Quelle autre meilleure signature de soi que le souvenir flottant du parfum ? Un détail ingénieusement intégré au parcours via une installation olfactive).

Étape 3 : réflexions sur l’intime.

Le deuxième pendant de l’exposition s’attache à aborder plus largement les problématiques liées à la notion toute-englobante, aussi philosophique que sociale, de l’intime. Question de sécurité, de parasociabilité induite par les réseaux sociaux, mais aussi de précarité, l’intime est un luxe dont la rareté est accentuée par nos habitudes sociales. En interrogeant son évolution, et ses aspects les plus complexes, l’exposition nous invite à réfléchir sur nos propres modes de consommation, et inévitablement de consummation, de l’intime.

Étape 4 : se dévoiler.

À la toute fin de l’exposition, dans une salle d’un bleu profond et rassurant, la thématique finale propose le dévoilement ultime : l’affichage du si secret « journal intime ». Aux murs sont affichés des pages, des captures d’écrans de blogs, des cahiers disséqués révélant les petites pensées intimes, les voix muettes, d’auteurs, d’artistes. Un chemin en ronde, en somme, dans leurs espaces les plus personnels. Sur deux rangées de tables au centre, une dizaine de cahiers vierges, ouverts, accueillants, nous convoquent à saisir le stylo ; à, nous aussi, participer au dévoilement :

Comment définissez-vous l’intime ?

Que vous soyez curieux, intrigués ou charmés, peu importe la motivation, l’exposition au MAD vous invite à de délicieuses découvertes et vous garantit de repartir avec l’esprit rempli de nouvelles idées.

Clara Tomašević

Du 15 octobre 2024 au 30 mars 2025

Musée des Arts Décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001, Paris

Du mardi au dimanche, de 11h à 18h, et le jeudi de 11h à 21h

Prenez vos billets : https://madparis.fr/Exposition-l-intime-de-la-chambre-aux-reseaux

Photographies : Clara Tomašević