Ce petit livre, qui se lit d’une traite, raconte dans sa première partie la courte vie de la féministe et anarchiste japonaise, Sugako Kanno, pendue à 30 ans pour avoir fomenté le projet d’assassiner l’empereur japonais en 1911. La seconde présente ses écrits en prison. Réflexions, qu’elle veut les plus honnêtes, simples, franches, retraçant ainsi ses derniers jours jusqu’à l’échafaud.
Fille d’un samouraï, Sugako Kanno perd sa mère à 10 ans. Son père se remarie et elle devient le souffre-douleur de sa belle-mère, car celle-ci pense que Sugako est possédée. Preuve en est : elle est née l’année du serpent ! Sa marâtre s’acharne méchamment, puisqu’elle manipule un jeune homme afin que celui-ci viole Sugako alors qu’elle n’a que 15 ans. Dans cette société japonaise traditionaliste du XIXe siècle, elle se sent avilie et déshonorée.
Mais Sugako est volontaire, elle se relève et se plonge dans la lecture. Elle découvre entre autres la poétesse et féministe Akiko Yosano. Elle adhère aux idées de cette dernière. Elle se lance dans une bataille contre le patriarcat et fonde une revue féministe « Femmes du monde ».
Elle s’élève contre le carcan qui emprisonne les Japonaises et clame aux victimes de viol qu’elles doivent arrêter d’avoir honte. En 1906, elle ose écrire : « Les hommes éloquents de notre société parlent ouvertement de la virginité féminine… C’est insultant pour les femmes…j’ai une haine excessive pour l’homme débauché qui ne cesse de radoter à propos des bonnes épouses et des mères sages. Ces hommes dépravés avant d’accentuer sur la chasteté des femmes feraient mieux de parfaire leur propre chasteté, et se concentrer à devenir des pères sages et de bons maris ! »
Autant dire que de tels propos tenus par une jeune fille de 25 ans choquent la bourgeoisie, mais pas seulement. Engagée auprès des socialistes anarchistes, elle rappelle à ses consœurs que si les travailleurs doivent s’opposer aux capitalistes, les femmes doivent lutter contre le monde masculin et que leurs revendications d’égalité et de liberté ne se gagneront pas sans qu’aucun sang ne soit versé.
Son audace, sa combativité, ses analyses et ses réflexions politiques lui valent l’admiration de ses camarades anarchistes. Le journaliste parisien Artistide Pratelle lui donne le surnom de : «la femme la plus intrépide que l’orient n’ait jamais connue. ». Pourtant si son discours, son intelligence ont beau être plébiscités par ses camarades, sa liberté sexuelle en revanche lui vaut une réputation sulfureuse. Comme quoi, même révolutionnaires, ses camarades peinaient à accepter l’amour libre lorsqu’il était pratiqué par une femme.
Barbara Ates Villaudy
Sugako Kanno, les derniers mots d’une intrépide de Aurélien Roulland, photographe et anarchiste.
Éditions du Monde Libertaire, 62 pages, 14×21 cm, 5 euros