Table ronde de la deuxième édition du projet HYam

Abdelaziz Zerrou est un artiste pluridisciplinaire marocain de 36 ans qui vit et travaille entre la Suisse et le Maroc. Son terrain de jeu est large, il se sert aussi bien de la vidéo que de l’installation et du dessin pour porter un regard nouveau sur le colonialisme et l’Histoire méditerranéenne. Pour cela, il réutilise et retravaille de manière inédite les symboles forts de la culture populaire marocaine, comme avec l’étoile (et le croissant) de son installation Lumières du Maroc.

Lauréat 2018 du prix HYam, deuxième édition, le jeune artiste était naturellement présent lors de la table ronde organisée en décembre dernier et accueillie dans les superbes salles de l’Hôtel d’Espeyran, siège d’Artcurial.

Placée sous le signe de l’Orient, cette rencontre s’est inaugurée par une visite guidée des œuvres exposées par la Maison de ventes dans le cadre de la troisième édition de Paris#Marrakech.

Hugo Brami, administrateur catalogueur chez Artcurial, a présenté au public les quatre magnifiques ventes de cet événement, allant d’un orientalisme classique, lumineux, rêveur ou réaliste, à une peinture africaine contemporaine et engagée.

Qu’est-ce qu’HYam?

HYam, ou Hydra for Artists of the Mediterranean, est une association philanthropique créée par

Pauline Simons dans le but d’encourager le rayonnement de l’art contemporain produit par la jeunesse méditerranéenne. Comme l’a d’ailleurs expliqué la directrice au tout début de la table ronde, l’idée du projet émerge d’un constat qu’elle a fait : celui de la faible représentation des galeries arabes sur les foires internationales.

HYam en est à sa deuxième édition. Pour sa première (entre 2014 et 2016), l’association s’était intéressée à Chypre et à la Grèce et donc à ses artistes, dont l’œuvre met bien souvent en avant les enjeux économiques, sociaux et politiques actuels de la région.

Comme un power statement, ce premier pas disait : HYam est militant, concerné.

Cette fois-ci, le Maroc était à l’honneur. Abdelaziz Zerrou a été sélectionné pour son œuvre Atlasouna (« notre Atlas » en arabe) parmi sept autres jeunes artistes marocains, par un jury exigeant présidé par François Tajan, président délégué d’Artcurial.

Après son élection, le lauréat bénéficie d’une aide à la création d’une œuvre exposée au cœur de l’île grecque d’Hydra pendant deux mois. La résidence qui suit dure un mois.

Finalement et pour clôturer l’édition, le travail et les recherches entreprises par l’artiste sont présentés à l’occasion de la table ronde parisienne.

La table ronde

Frontière, immigration et mythologie furent les grands thèmes de la rencontre, inspirés par une oeuvre lauréate réfléchie dont la symbolique transcende les différences entre la Grèce et le Maroc.

Cette transcendance est un vecteur essentiel de sociétés qui ont besoin de se rassembler artistiquement, à défaut de le faire politiquement. Une intervenante rappelait notamment qu’au cours de la troisième édition à Paris de la foire AKAA (« Also Known As Africa »), les galeries marocaines faisaient le choix de ne pas présenter que des artistes marocains mais aussi d’Afrique Subsaharienne. Le parti-pris est de mettre en avant un panafricanisme, de dissoudre les frontières culturelles qui demeurent fortes entre les « deux Afriques ».

Extrait du préambule de la Constitution marocaine :

« Etat musulman souverain, attaché à son unité nationale et à son intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen ».

Le projet de l’association se doit donc d’être porté par des artistes jeunes, qui se réapproprient leur Histoire et s’en inspirent. Cette génération aborde comme jamais des sujets traditionnellement tabous et assume ainsi sa responsabilité de « lanceur d’alerte », à l’instar de Soukaina Joual qui par son œuvre Disobey, interroge la manière de percevoir le corps féminin dans les cultures orientales et occidentales.

Leurs voix résonnent d’autant plus que leurs travaux touchent de près à leur identité marocaine, intime, tout en s’adressant à un public international.

Créer dans un pays comme le Maroc n’est pourtant pas facile. Meryem Sebti, qui y habite depuis des années nous a parlé des difficultés que les artistes rencontrent.

Depuis l’accession au trône de Mohammed VI en 1999, le pays connait un dynamisme culturel nouveau : la politique du monarque alaouite a permis, entre autres, l’ouverture des musées

Mohammed VI et Yves Saint Laurent, la création de la Marrakech Artweek et l’expansion de l’institut français du Maroc qui compte désormais douze antennes. Pourtant, la création marocaine peine à s’exporter.

La directrice de la revue Diptyk évoque les problèmes douaniers qui rendent difficile l’entrée et la sortie du territoire marocain des œuvres d’art et qui expliquent notamment que la participation aux foires internationales des artistes marocains ne soit pas systématique.

Surtout, le budget alloué à la culture par le royaume chérifien est faible et opaque. Les artistes ne bénéficient d’aucune aide, et ce malgré les efforts entrepris par le chef d’état.

Paradoxalement, ces lacunes font la force et la singularité de la scène marocaine qui regorge d’initiatives privées énergiques dont parle avec passion Meryem Sebti.

Finalement, les intervenants ont clos le débat en insistant sur la nécessité d’un travail collectif pour la pérennité. Successivement à AKAA, il est important que l’émergence de la scène africaine ne soit pas qu’un effet de mode, éphémère.

Victoire de Souza

Pour aller plus loin :

Site internet d’HYam: https://hyam.fr/

Site internet d’Artcurial: https://www.artcurial.com/fr

Les quatre ventes de Paris#Marrakech

• De Constantinople à Tanger, une collection privée italienne

• Majorelle et ses contemporains

• Made in Morocco

• African Spirit

Les autres artistes sélectionnés

• Abessamad El Montassir

• Lina Laraki

• Mehdi-Georges Lahlou

• Nissrine Seffar

• Salim Bayri

• Soukaina Joual

• Zainab Andalibe

Le jury

• Xenia Geroulanou, directrice de la galerie parisienne Thaddaeus Ropac

• Anaël Pigeat, rédactrice en chef de la revue Artpress

• Philippe Riss-Schmidt, curateur et fondateur d’Hyperpavilion à la dernière biennale de Venise

• Bérénice Saliou, directrice artistique de l’ICI (Institut des Cultures d’Islam)

• Bérénice Saliou, directrice artistique de l’ICI (Institut des Cultures d’Islam)

• Emmanuel Saulnier, artiste et professeur aux Beaux-Arts de Paris

• Andreas KourKoulas et Maria Kokkinou, architectes du musée Benaki d’Athènes

• Meryem Sebti, directrice de la publication, rédactrice en chef de Diptyk

• Alexis Veroucas, artiste et collectionneur