TOXIQUE
Françoise Sagan reste un auteur de premier plan, elle qui croyait ne pas boxer dans la même catégorie que Chateaubriand ou Proust. Son travail demeure d’une étonnante modernité et pas seulement parce qu’elle fut une féministe incarnée plus qu’une militante. L’intelligence rare dont elle faisait preuve, transpire dans toute son œuvre, subtile, mélancolique et empreinte d’une portée philosophique qu’on ne lui reconnue que sur le tard.
Ce sont bien là les caractéristiques d’une romancière qui compte et comptera encore, que Toxique met en exergue. Un texte méconnu qui avait été illustré par Bernard Buffet. Rien d’étonnant alors, de découvrir sur scène un décor que le plasticien lui-même aurait pu dessiner. Une scénographie exprimant le tourment, le doute, l’inachevé dont Sagan était la prisonnière, au sens propre comme au sens figuré. Christine Culerier ne cherche pas à singer les mimiques ou le phrasé si caractéristiques du charmant petit monstre, comme aimait à l’appeler François Mauriac. Elle préfère rester une femme, une comédienne qui s’empare des mots avec cœur, donnant une universalité au propos, à cette tranche de vie dans l’enfermement que traversa Sagan après le terrible accident de la route qui aurait dû lui coûter la vie.
Toxique traite – le titre est évocateur – des addictions auxquelles la jeune pousse à peine âgé de 22 ans, serait confrontée Sagan jusqu’à la fin de ses jours. Et pas seulement de manière maladive et subie, mais aussi parce qu’elle redoutait le vide béant qu’un sevrage laisse derrière lui. L’addiction à l’écriture irradie elle aussi. Les deux vipères s’entrelaçant dans une danse infernale et prolifique.
Je n’avais jamais fait le rapprochement avant que de voir le spectacle, les ponts émotionnels qu’on pourrait tisser entre Françoise Sagan et Camille Claudel. Au travers d’une même recherche de l’émotion, le comédien et metteur en scène Charles Gonzalès nous rappelait la saison précédente que cette dernière connut elle-aussi l’enfermement 30 ans durant, continuant à sculpter dans son esprit ce que la Société lui interdisait physiquement. Christine Culerier se meut telle une boule de flipper, renvoyée sans cesse par les murs de sa chambre de convalescence et les remparts infranchissables de ses propres questionnements. Une belle entrée en matière pour (re)découvrir et sans doute mieux comprendre un écrivain profond, brillant et sensible.
Le pitch :
En avril 1957, Françoise Sagan est victime d’un grave accident de voiture. » Je fus, durant trois mois, la proie de douleurs suffisamment désagréables pour que l’on me donnât quotidiennement un succédané de la morphine appelé le » 875 » (Palfium). Au bout de ces trois mois, j’étais suffisamment intoxiquée pour qu’un séjour dans une clinique spécialisée s’imposât… «
Enrichie par des extraits de ses entretiens mais aussi par ses lectures du moment, la pièce offre bien plus que le simple récit d’une cure. Avec l’élégance, la pudeur et la fausse légèreté qui la caractérisent, la jeune romancière livre une part de son intimité et de ses rêves d’écrivain.
Toxique
Auteur : Françoise Sagan
Mise en scène : Christine Culerier et Michelle Ruivo
Avec : Christine Culerier
Jusqu’au 15 octobre 2018
Studio Hébertot
78 Bis Boulevard des Batignolles
75017 Paris
David Fargier – Vents d’Orage