À l’occasion d’une exposition inédite rassemblant plus de 80 œuvres, La Fondation Cartier organise, du 12 octobre 2024 au 16 mars 2025, la première grande rétrospective européenne consacrée au travail de l’artiste colombienne Olga de Amaral.
Sculpter le tissu, modeler le fil, creuser la fibre
À la croisée de la sculpture, de la couture, du design et de l’architecture, les « expériences » artistiques de De Amaral sont de véritables microcosmes filaires. Coton, lin, métal, feuille d’or se mêlent, s’opposent et se complètent pour brouiller les limites de ce que l’on regroupe aujourd’hui sous l’appellation générique de « Fiber Art ». Cette pratique, encore sous-représentée dans les espaces muséaux, trouve en De Amaral une voix singulière. L’artiste colombienne s’approprie le medium, le décline sous un ensemble de formes variées, pour en faire des installations tantôt flottantes, colorées et psychédéliques, tantôt rigides, imposantes et sombres.
Se plaçant au confluent des pratiques et des continents, la polyvalence du travail de De Amaral s’explique par la diversité de son parcours. Initialement formée à l’architecture en Colombie, elle puise dans les traditions artisanales textiles de son pays d’origine une grande partie de son inspiration. Son passage à Cranbrook, dans le Michigan, lui ouvre toutefois les portes de l’esthétique du Bauhaus allemand, et marque de manière pérenne ses réflexions sur l’abstraction, la forme et la matière.
Des géographies textiles.
Au sous-sol, l’ambiance est sombre et feutrée, on y déambule comme dans un flottement de cartographies fantasmagoriques dont la lecture nous est complètement inconnue, car comprendre le travail de De Amaral, c’est avant tout apprendre à les lire comme des sortes d’œuvres-paysages. Formes sinueuses de rivières, de steppes, de plateaux de montagnes andines, avec des fibres textiles comme matériau de base, De Amaral recrée la nature en la transfigurant. Sa maîtrise de la couleur et de la lumière est, par ailleurs, impressionnante : les œuvres vibrent sous l’éclairage, révélant des textures et des détails invisibles à première vue. À travers son travail du matériau, elle parvient à transformer ses créations en véritables phénomènes naturels, comme en témoignent ses deux séries monumentales phares, les “Brumas”, débutées en 2013, et les “Estelas” de 1996. Entre brumes pluvieuses de formes, et éclats dorés d’étoiles, c’est une véritable cosmogonie que l’artiste compose.
Un dernier lever de rideau émouvant pour La Fondation Cartier
Lors du discours inaugural, Chris Dercon, directeur de La Fondation Cartier, a rappelé avec émotion que le musée quitterait bientôt le bâtiment, maintenant célèbre, de Jean Nouvel, pour rejoindre ses nouveaux locaux, rue de Rivoli. Un grand final doux-amer pour la Fondation Cartier qui marque donc un dernier acte mémorable dans cet espace et qui rend hommage aux valeurs et aux pratiques qui ont fait sa réputation.
Dans ce contexte, la scénographie a joué un rôle central pour ce musée qui, selon Chris Dercon est « en train de réinventer une nouvelle forme d’exposition ». Conçue sur trois ans, l’on constate alors, avec plaisir, que la minutie du travail pilotée par Lina Ghotmeh pour faire dialoguer l’espace avec œuvres s’inspire du travail de De Amaral, créant des espaces géométriques en dialogue avec son univers abstrait et naturel. Deux ambiances distinctes se déploient : le “soleil” au rez-de-chaussée et la “lune” au sous-sol, avec le souci constant de brouiller volontairement les frontières entre intérieur et extérieur, et d’intégrer les œuvres dans une continuité fluide avec le jardin.
Tisser son propre chemin dans l’art contemporain
Enfin, finir l’histoire de La Fondation Cartier à Raspailpar cette artiste découverte en 2018 lors de l’exposition Géométries Sud, c’est affirmer la volonté de soutenir la création contemporaine et de rendre honneur aux artistes de leur vivant. Animée par l’idée que le musée doit avant tout servir les créateurs contemporains, La Fondation Cartier clôt ce chapitre et laisse entrevoir de nouvelles perspectives pour ses futures aventures rue de Rivoli.
Exposition ambitieuse, immersive et bien ficelée, la rétrospective d’Olga De Amaral porte un regard nouveau sur cette artiste longtemps restée en marge de l’horizon culturel européen.
N’hésitez donc pas plus longtemps : marchez, courez, filez.
Clara Tomašević
Photos : Clara Tomašević
Du 12 octobre 2024 au 16 mars 2025
Le Fondation Cartier, 261 boulevard Raspail, 75014, Paris
Tous les jours de 11h à 20h, sauf le lundi. Nocturne le mardi, jusqu’à 22h