Visages

Portrait des collections du CHRD (Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation)

L’exposition VISAGES présente plus de 100 objets, séries ou ensembles organisés autour de la thématique du visage, et livre un portrait foisonnant des collections en faisant le pari de la découverte et de la délectation.

« Exposer une collection de visages après une longue période masquée est une belle façon de taquiner l’esprit critique du public à son retour au musée »

L’exposition s’ouvre sur une installation de masques à gaz, objet emblématique des collections des musées de la Seconde Guerre mondiale. Le masque, accompagné des caricatures et documents qui le raillent ou en présentent le fonctionnement, est aussi une citation explicite à la période que nous venons de traverser.

La présentation du visage dans les collections s’organise en huit séquences.

Le visage du quotidien. Le quotidien est un objet d’histoire à part entière. De 1939 à 1945, la guerre charrie avec elle un bouleversement des conditions de vie qui frappent le domaine privé en raison des contraintes dictées par le vainqueur, rappelle l’historienne Dominique Veillon. Restrictions et pénuries s’imposent à la population française, plus particulièrement aux citadins et aux femmes, obligées de nourrir leur famille avec les moyens du bord. Confrontées à d’incessantes difficultés, ces dernières trouvent parfois un certain réconfort dans la lecture de la presse féminine, quand les chanteurs d’opérette relèguent au second plan, pour un instant, leur quotidien harassant.

Le visage du pouvoir. Dès le mois de juillet 1940, le visage du chef de l’État français fait irruption dans toutes les sphères de la vie publique et privée. Les services de propagande misent sur la popularité du Maréchal pour assoir les fondements du régime de Révolution nationale et font de son visage et de son regard bleu azur le socle d’une édifiante grammaire visuelle. Un « art maréchal » spontané fleurit parallèlement, conduisant Pétain à ordonner son omniprésente représentation. Si le support majeur de propagande est l’affiche, le portrait du chef de l’État sur carte postale est tiré en 1940 à 10 millions d’exemplaires et son effigie remplace bientôt Marianne sur les timbres-poste. Quelques-uns cependant tenteront de railler cette image par un trait d’humour ou l’écorneront avec colère.

Le visage de l’icône. Figures allégoriques de la Liberté ou du sacrifice consenti, les visages de Marianne et de Prométhée sont utilisés par les artistes résistants pour définir la lutte clandestine. Dans le même temps, la diffusion des visages bien réels des jeunes martyrs communistes les pare dès 1941 d’un statut héroïque, quand la circulation des photographies du chef de la France libre rend possible l’incarnation d’un espoir. À la Libération, la quête d’une figure symbolique répond à une nouvelle exigence : prévenir l’oubli, en distinguant des personnalités jugées exemplaires. La mémoire devient un enjeu et l’objet d’un récit.

Le visage de l’absent. En 2015, le CHRD accueille dans ses collections deux portes de l’ancienne prison Saint-Paul habillées de collages d’Ernest Pignon-Ernest. Réalisés deux ans plus tôt dans le cadre d’une installation, ces dessins d’un résistant français et d’un militant nationaliste algérien évoquaient, avec d’autres, la figure de ceux qui souffrirent en ces lieux. Redonner une présence aux absents, c’est la bouleversante expérience que proposent les portraits de déportés du ghetto de Theresienstadt, réalisés par Arthur Goldschmidt entre 1942 et 1945. C’est aussi la démarche entreprise dès l’immédiat après-guerre par l’association Apaffida. Les fiches nominatives et photos d’identité des déportés français juifs qu’elle réunit constituent un matériau, sensible et historique, d’exception.

Le visage retrouvé. Connus pour leurs silhouettes de déportées croquées sans visage, les dessins de Jeannette L’Herminier constituent l’un des témoignages les plus riches sur Ravensbrück et ses Kommandos satellites. Ils sont également le fleuron des collections du Musée de la Résistance de Besançon. Le don récent au CHRD des archives de Marie Besson, agent de liaison du réseau Buckmaster à Lyon, arrêtée en 1943 et déportée en janvier 1944, a permis de restituer son visage à l’une de ces silhouettes. Une découverte qui vient saluer le lent travail de collecte et de valorisation des musées de la Seconde Guerre mondiale et contribue à l’analyse des comportements résistants en situation de confinement.

Le visage clandestin. « Très vite, pour survivre, les Français doivent apprendre à exister avec deux images d’eux-mêmes : un visage à montrer pour paraître et durer, un visage à cacher pour préserver une manière d’être et pour agir », écrit l’historien Pierre Laborie. Ce qui relève du sentiment pour la plupart s’impose aux résistants comme une ligne de conduite indispensable à leur survie. Le basculement parfois nécessaire dans une clandestinité totale relève d’une gageure dans un pays où tout acte d’achat est conditionné à la présentation de cartes. Indispensables pour déjouer les contrôles des services de répression français et allemands, la fabrique de faux papiers est un rouage essentiel au fonctionnement des mouvements et réseaux de résistance.

Le visage du passé. En 1997, Mathieu Pernot entreprend un travail sur le « camp de concentration pour nomades de Saliers », créé en Camargue durant l’année 1942 par le gouvernement de Vichy. Levant le silence qui entourait encore l’internement de plus de 6 000 Tsiganes dans des camps gérés par l’administration française, le photographe est parti à la recherche d’anciens internés, victimes anonymes d’une histoire oubliée. La découverte de carnets anthropométriques, conservés aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône, constitua le point de départ de cette enquête destinée à recueillir des témoignages et une dernière image des survivants. Libérés de tous les indices de l’investigation policière ou administrative, les portraits de Mathieu Pernot leur rendent un nom et un visage.

Le visage de l’attente. Le visage du compagnon d’infortune est un leitmotiv des productions artistiques des prisonniers de guerre français. Œuvres d’amateurs ou d’artistes confirmés, elles livrent une vision poignante de cette importante « communauté » de captifs condamnés à l’attente et livrés à la promiscuité. Leur nombre même, 1 600 000 prisonniers, explique l’importance de ces témoignages au sein des collections du musée qui leur consacra en 2011 une exposition de référence. La série de portraits réalisée par Jean Billon au stalag VIIIC, en Silésie, a été confiée au musée par les descendants du peintre en 2002. Dans l’édition prestigieuse qui accompagne les 66 dessins exposés en France dès l’année 1942, le médecin lyonnais René Biot salue la magie du portraitiste qui a su rendre vivants ceux « que nous cherchons à tâtons »

Le visage du témoin. La figure du témoin est centrale dans l’histoire du CHRD et constitue aujourd’hui encore une de ses spécificités. Elle s’appréhende au fil d’une collection de témoignages audiovisuels, quand la présence quotidienne au musée de vingt-huit d’entre eux a été saluée en 2008 par une commande photographique intitulée « Visages du Centre d’Histoire ». L’implication dans la vie du musée de ces anciens résistants et déportés, enfants cachés, pour certains à l’origine de la création du CHRD, était alors encore forte et leur intervention auprès des classes systématique. Les portraits de Frédéric Bellay offrent la juste mesure de l’investissement, de l’engagement, physique et intellectuel qu’a supposé pour eux l’acte de témoignage. Pour beaucoup disparus, leurs visages interrogent désormais le devenir de nos musées en leur absence.

Du 27 janvier au 18 septembre 2022

Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation Musée de Lyon, 14 avenue Berthelot, 69007 Lyon

Du mercredi au dimanche de 10 h à 18 h (fermé lundi et mardi)

Photos : Véronique Spahis