Âmes sauvages
Si près… si loin…
Triik, Mägi, Krastĩns, Buyko, Ruszcyc, Čiurlionis, ou Žmuidzinavičius, ils ont surgi, silencieux, sur les cimaises du Musée d’Orsay.
Ils nous sont aussi étrangers que s’ils sortaient des brumes de lointaines antipodes ayant depuis toujours échappées à notre vigilance et à cette curiosité dont nous sommes si fiers alors qu’ils étaient nos voisins.
Ils portent des noms imprononçables. Ils sont porteurs de mythologies que nous ignorons presque entièrement et qui ignorent nos Grecs de même que leur peinture s’inspire de légendes venues des confins arctiques et des nuits qui tuent la lumière jusque dans la profondeur des jours.
Européodécentrée, leur œuvre est porteuse d’une histoire et d’un monde dont nous n’avons voulu connaître ni le tragique ni la richesse ni la proximité ni la parenté.
Aujourd’hui au Musée d’Orsay le visiteur est troublé par cette peinture qui n’est pas exclusivement symboliste (on pense à Moreau) mais aussi mystique (on pense à Redon) quand elle n’est pas tout bonnement impressionniste, expressionniste ou encore décorative comme l’annoncent certains cartels (et là, on pense à Klimt)
Ils nous connaissaient. Ils connaissaient le Gauguin de Pont-Aven, ils avaient vu Van Gogh et les Nabis. Ils sont venus. Ils sont repartis.
Peu convaincus par notre obsession pour la lumière, ils sont retournés à leurs aurores pâles, à leurs journées crépusculaires sans doute plus propices à l’expression d’une recherche mystique, d’un questionnement religieux, d’une exploration de sources dont ils sont les seuls à savoir où elles s’originent.
Aujourd’hui au Musée d’Orsay ce qui nous trouble le plus est certainement la sincérité patente, évidente, confondante de cette peinture qui nous retient par la manche devant des toiles que pourtant nous ne savons pas lire. Nous cherchons à percer le mystère de la facture de certains portraits, de certains nus, de certains paysages pas si éloignés que ça de notre sensibilité et pourtant difficilement pénétrables. Ces nordiques sont les seuls à avoir exploré, à avoir su exprimer la mélancolie souvent sombre qui nimbe leurs latitudes boréales parfois à l’aide d’une écriture graphique dont les signes nous échappent comme ces lumières irréelles que diffusent des architectures in-identifiables.
Tels des voyageurs abordant une terre inconnue nous sommes – dans un premier temps – perdus devant cette production où notre narcissisme s’inquiète. Dans un deuxième temps nous nous laissons happer par cette mystérieuse sincérité.
Troisième temps, enfin, en sortant de l’ancienne gare, en discutant sur le parvis, on se félicite d’être allés à la rencontre de ces artistes venus du froid et on se promet de conseiller à nos amis de venir écouter palpiter ces Âmes Sauvages au Musée d’Orsay.
Jusqu’au 15 juillet 2018
Musée d’Orsay
1 Rue de la Légion d’Honneur,
75007 Paris
de 9h30 à 18h (21h45 le jeudi) – fermé le lundi
Pierre Vauconsant