Le corps. Une matière commune à l’humain. Pourtant, toutes ses particularités définissent un “moi” intime et physique. Une main avec des doigts fins, un dos courbé, des creux ou des cicatrices, ces quelques formes, peut-être irrégulières, me rappellent que c’est le mien. Il est souvent difficile d’affronter son reflet car on ne sait pas toujours comment l’appréhender ou le comprendre. S’opère une forme de déchiffrage de la donnée, on se souvient de cette même apparence quelques années en arrière – beaucoup de choses ont changé depuis. Quelque chose s’est affaissé, vieillit.
Lorsque le corps devient l’objet d’une réflexion artistique et iconographique, l’on ressent un certain sentiment d’intrusion, de voyeurisme. Puis, il y a cette exposition. À la Fondation Henri Cartier-Bresson, une rétrospective de toutes ces images réalisées entre 1984 et 2002 par l’exceptionnel John Coplans. Quel sentiment étrange de déambuler autour de ces fragments de corps. Le sien. Une identité éteinte par l’absence de son visage. On se concentre uniquement sur ces formes ; des doigts recroquevillés avec souplesse, il est allongé sur le dos, sur le côté, et ces mêmes mains s’agrippent à sa cheville ; plus loin, son dos prend la forme d’un mur, épais et solide – cette image dialogue avec des postures plus sensuelles laissant entrevoir quelque chose de plus fragile, réservé. Une nudité mise en scène, maîtrisée, poétisée presque sculpturale.
D’emblée, nous sommes frappés par la ténacité et l’énergie de ces images. Ce corps mis a nu est en réalité l’allégorie soignée de l’Homme artiste – c’est celui qui se met à nu pour produire, qui s’affranchit de tous les diktats pour parvenir à faire rayonner la quintessence de son imaginaire. John Coplans était un fin connaisseur de l’histoire des arts, un audacieux, et ses oeuvres jonglent entre les influences (Carleton Watkins, Constantin Brancusi, Walker Evans, Lee Friedlander, Jan Groover, Philip Guston, Weegee…), cependant, elles s’extirpent au profit d’une création provocante, unique.
Des petits aux grands tirages photographiques, les fragments de corps qui couvrent les murs blanc de la galerie contractent un puzzle. Il s’agit d’un seul et même corps, pourtant les pièces s’éparpillent, les montages se décuplent, offrant la possibilité au visiteur de reconstituer son propre schéma intérieur. Ce sont les mêmes mains mais leurs sens divergent en fonction des positions, des jeux de lumières et d’ombres. Le format monochrome donne à voir de la douceur, de la subtilité, et trompe l’oeil dans le royaume de la rêverie : “Je n’utilise pas d’accessoires : je pose devant un fond neutre, blanc, et sans avoir le temps de comprendre quoique ce soit, je me perds dans une rêverie” (John Coplans, “My Chronology”, 2002).
L’exposition est une véritable réussite. Sous le commissariat de Jean-François Chevrier et Élia Pijollet, les œuvres exposées proviennent toutes de collections françaises prêtées par des institutions ou des prêteurs privés. D’autre part, cette exposition met parfaitement en lumière l’étendue du talent de John Coplans. Beaucoup ignorait son attrait pour la photographie, La Vie des Formes délivre donc d’autres aspects de son pouvoir créatif.
Irina Bengouirah
Exposition du 5 octobre 2021 au 16 janvier 2022
Fondation Henri Cartier-Bresson – 79 rue des Archives, 75003 Paris
Ouvert du mardi au dimanche de 11 heures à 19 heures.
L’exposition est accompagnée d’un livre publié par Le Point du Jour (coproducteur).
John Coplans. Un corps, 196 pages dont environ 40 illustrations, 14 x 20,5 cm, 22 euros.