Quelle belle découverte que le travail de Nikos Aliagas ! Nous le connaissons tous comme le présentateur des grandes émissions françaises de divertissement, un rôle qui peut parfois faire de l’ombre à ses multiples talents, au-devant desquels la photographie.
« Que raconter de plus ? » C’est la question que s’est posé Nikos dans sa création de l’exposition. Le voyage a alors été une évidence pour partager des cultures et des visions du monde, c’est pourquoi Ulysse qui incarne l’archétype du voyage et du retour est progressivement devenu le fil rouge de cette exposition. Le voyage rythmé par un départ et un retour est marqué par le « nostos », ce mot grec qui signifie le mal du pays, le retour avec un manque. C’est un thème récurrent dans le discours porté par Nikos, qui en a fait le titre de son exposition. Le spleen d’Ulysse est une invitation au voyage, une exposition qui nous fait aussi voyager, nous, spectateurs, à travers les photographies.
Derrière ces photos se cachent un besoin de comprendre, se reconnecter à soi et à ce qui nous échappe, elles sont moins une explication concrète qu’un ressenti. Cette exposition monographique est la preuve qu’une image percute parfois plus que des mots. Sa création est marquée par de multiples inspirations, que ce soit dans les conversations qu’il a tenues avec ses proches ou par les voyages qu’il a entrepris au cours de sa vie. Il nous rapporte les paroles de Sabine Weiss, photographe elle aussi : « on écrit des histoires comme on écrit avec des ombres et des lumières ». Ce jeu d’ombre et de lumière l’anime dans ses travaux, il est tout à fait fascinant dans L’ombre de la destinée.
Nikos est un artiste qui regarde avec son cœur et qui saisit une histoire et un vécu plus qu’un physique. La majorité de ses photographies illustrent des visages marqués par le temps et par la vie, par les voyages et les découvertes.
Dans le récit d’Ulysse, c’est grâce à ses cicatrices que Télémaque reconnait son père. Le temps est un thème central de son voyage, il photographie autant ceux qui assument le temps que les paysages, souvent maritimes, l’eau étant le symbole du temps qui passe. Son explication de Nosara I et Nosara II, réalisées au Costa Rica, est pleine de poésie : on pourrait croire à une œuvre abstraite à l’allure chromée, mais ces deux photos représentent en réalité l’eau sur le sable, fuyant inlassablement vers la mer après le passage de la vague. Son passage n’a duré qu’un temps, que quelques secondes. Ces deux photos ont été présentées sur du papier coréen dans l’exposition, un matériau très fragile et volatile, à l’image de la photo.
Dans son recueil Alcools, Apollinaire utilise lui aussi l’eau comme métaphore du temps qui passe et nous tenions à citer ces quelques vers tirés du poème Le pont Mirabeau qui font écho à l’exposition :
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la SeineVienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure
Chacune de ces photos fait partie d’une histoire. Ces hommes et ces femmes dont il a capturé le portrait, il les connait depuis plusieurs décennies parfois, certains sont morts et il ne subsiste d’eux que ce portrait pour garder leur souvenir dans les mémoires. A travers son travail, Nikos cherche en partie à rendre hommage et faire mémoire, à représenter les vivants comme les morts avec sensibilité et humanité. Ses photos sont capturées sur le vif, sans pose ni artifice, il dit d’ailleurs que la première photo est celle qu’il préfère car c’est celle qui parle le plus. En nous confiant cela il pense à Roger du Retour impossible, mais aussi à Panakias qui a tenu une grande place dans sa vie et qui est représenté dans la première pièce de l’exposition.
Le portrait tient une grande place dans le travail de Nikos, c’est pourquoi il a dédié une salle à cette pratique, qu’il associe à la question « qui es-tu ? ». Chaque individu qui y est photographié est singulier, en passant du Le Cyclope, qui se rapporte directement au récit d’Homère, à la Jeunesse Eternelle. Cette dernière photo représente deux femmes masquées dont on ne peut deviner l’âge, devenues d’autres personnes le temps d’une fête à la Delphes, arrêtant le temps pour un instant. L’ensemble de ces portraits pousse au questionnement : qui regarde qui ? qu’est ce qui nous appartient ?
Nikos laisse place au temps, il admire ceux qui l’acceptent, et illustre avec simplicité et naturel la mort comme la fin d’un voyage. On retrouve peu d’explication sur l’histoire des photographies tout au long de l’exposition et c’est un choix : Nikos souhaite laisser la liberté au spectateur d’interpréter ses œuvres, de s’en saisir pour comprendre à son tour.
A travers son exposition, Nikos nous fait entrer dans son intimité, dans ses voyages. Il nous fait connaitre ceux aux côtés de qui il a grandi, avec sensibilité et émotion. L’abbaye de Jumièges est un lieu exceptionnel qui vaut le détour à plusieurs égards : fondée vers 654, l’abbaye est une ruine monumentale d’architecture romane qui est aujourd’hui la propriété du département de Seine-Maritime. Nous vous conseillons de visiter ses multiples édifices, puis de poursuivre votre visite dans le logis abbatial, ancienne résidence des abbés commendataires de Jumièges construite et lieu de l’exposition Le Spleen d’Ulysse.
Apolline d’Hoop
Du 07 juin au 15 septembre : 10h00 – 13h00 / 14h00 – 18h00
Du 16 septembre au 31 octobre : 10h00 – 12h30 / 14h30 – 17h00
Abbaye de Jumièges, 24 rue Guillaume-le-Conquérant, 76480 Jumièges