“Tout dit dans l’inconnu quelque chose à quelqu’un. Tout parle parce que tout vit”, a pu écrire Victor Hugo dans son poème, “Ce que dit la bouche d’ombre” (les Contemplations)
C’est l’exploration de ces échanges naturels que propose la Fondation des Artistes à travers sa nouvelle exposition, sous le commissariat de Caroline Cournède, intitulée Météo des Forêts.
En s’appuyant sur le travail de onze artistes, le parcours décline les différents états de notre environnement, à travers le prisme d’un lieu particulier, la forêt, foyer de multiples interconnexions.
Il s’agit donc d’inverser l’ordre établi, de changer de regard : ce ne sont plus les humains qui évoquent la pluie et le beau temps, mais les mailles de l’écosystème qui parlent pour elles-mêmes et témoignent de l’impact de cette période troublée sur leur fonctionnement vital.
Car c’est bien de la survie de ces milieux dont il est question…
La première installation de Herman de Vries, I am, témoigne justement de cette revendication existentielle de la nature ; la bannière “I am” enroulée autour d’un arbre, impose un statut vivant à ce dernier.
Les œuvres suivantes, également exposées dans le couloir, matérialisent l’enjeu diplomatique que représente le milieu forestier ; “les Brouillons officiels” dessinés par Thibault Scemama Gialluly dans son œuvre Tremplin des Boisconstituent par exemple une carte mentale surchargée.
En sélectionnant des termes utilisés par des décrets ou des lois, il met en avant la considération économique qui apparaît alors surplombante dans notre approche de cet espace.
Lois Weinberger choisit, lui, de dresser une géographie du vivant dans sa peinture Paths-subversive conquest of area. Il y dévoile les chemins tracés dans l’aubier par des insectes xylophages en se nourrissant.
Ce tracé vert, s’il apparaît harmonieux, révèle un déséquilibre sous-jacent : le réchauffement climatique et la monoculture d’arbres entraînent une multiplication des insectes et de leurs dégâts. Le cycle naturel est mis en péril.
Loin d’une simple prise de conscience alarmante, Météo des Forêts propose des alternatives à cette destruction, notamment un retour primitif à notre environnement.
C’est cette connexion que met en scène, à son plus haut degré, le travail de Julien Prévieux et Virginie Yassef, L’Arbre.
Dans cette vidéo, ils apparaissent rongeant chacun leur tour une bûche trouvée dans la forêt : si le geste apparaît étonnant, il est propice à de multiples interprétations, et donne à voir un désir de fusion naturelle.
Cette volonté de retrouver une promiscuité avec le vivant apparaît d’autant plus marqué en ce que la vidéo est tournée à partir de pellicules super 8 périmées.
Les accidents de chromie et bruits dans l’image signalent un recul dans le temps et le film n’est pas sans évoquer celui de Truffaut, L’Enfant sauvage.
Ce travail autour de l’arbre est décliné dans les deux salles suivantes de l’exposition.
Lucie Douriaud, à travers son œuvre photographique Cimetière, dénonce le rapport de consommation et donc de destruction que subissent les arbres.
Son installation est réalisée à partir de sapins “Abies Nordmanniana” qui sont tantôt placés à l’horizontal, tels des corps gisants, ou bien montrés à l’abandon dans des rues. Leur décomposition et désuétude est également évoquée par la dispersion d’aiguilles au sol.
Il s’agit de montrer l’incompatibilité temporelle entre la loi de la consommation, celle d’un renouvellement constant, et le cycle de croissance des végétaux.
Virginie Yassef prend le parti de donner la parole à l’arbre dans son installation Soleil City ; Un tronc d’arbre est exposé au centre de la pièce et une voix off résonne dans la salle, dressant un portrait alarmant de l’état de la nature :
“J’ai soif- Le soleil est en train de s’éteindre – Le monde a soif – Les eaux se colorent de rouge, de violet ou de noir”…
Le texte, s’il est poétique, signale une vraie menace que cette expérience immersive permet d’appréhender totalement. Vous pouvez d’ailleurs emporter une version écrite du discours de l’arbre, bon à méditer…
Mais que connaissons-nous de la nature ? La dimension microscopique du fonctionnement végétal et animal peut souvent nous échapper. Les rushs filmés par Stéphanie Lagarde et Constantin Jopeck dans Images de recherche, Plateau de Millevaches, explorent les mailles sous-jacentes de l’écosystème forestier.
Dès lors, grâce à la minutie avec laquelle sont capturés les différentes communautés d’insectes ou paysages naturels, nous comprenons la fragilité de ces connexions multiples.
La solidarité entre les espèces apparaît alors indispensable pour préserver ces interdépendances minuscules mais fondatrices.
L’exposition se poursuit dans le vestibule du bâtiment, où se déploie l’installation …encore en train de muer… Le titre même donne la tonalité de cette œuvre hybride, composée de plusieurs entités : pièces textiles marquées par des messages personnels laissés sur des arbres, zones de terre abritant différentes formes de vie…
Cet exercice de transposition procède par recyclage et matérialise les rapports variés, mais toujours personnels, que nous pouvons entretenir avec la nature.
Du pixel à la maille, en passant par la gravure, le travail de Ix Dartayre et Ache C.Wang se fait archive de nos médiums d’échange avec la biodiversité.
La vidéo digitale de Nefeli Papadimouli, Être Forêts, clôt ce parcours : les images dévoilent une harmonie poétique unissant les entités naturelles. Celles-ci semblent s’accorder en une chorégraphie allant jusqu’à ne former plus qu’un seul corps.
Le spectateur est placé entre les deux écrans et donc au centre de cette symbiose ce qui détermine symboliquement son rôle.
Météo des Forêts propose donc une approche fine et réaliste de ce milieu foisonnant : entre prévention et célébration, l’exposition ne peut que renforcer notre détermination à préserver ces sanctuaires naturels…
Avec les œuvres de Ix Dartayre, Herman de Vries, Lucie Douriaud, Constantin Jopeck, Stephanie Lagarde, Nefeli Papadimouli, Julien Prévieux, Thibault Scemama de Gialluly, Ache C. Wang, Lois Weinberger, Virginie Yassef.
Joséphine Renart
Du 18 janvier au 7 avril 2024
MABA, La Fondation des Artistes, 16 rue Charles VII, 94130 Nogent-sur-Marne
en semaine de 13h à 18h – le week-end, de 12h à 18h -fermeture les mardis et les jours fériés