Monnaies – Portraits du monde : un billet pour son pays à Citéco

« Il n’existe pas dans l’économie d’une société quelque chose de plus insignifiant que la monnaie » déclarait péremptoirement John Stuart Mill (1806-1873), économiste libéral, avant d’être britannique. Si le courant d’économistes keynésiens et contemporains lui ont ensuite donné tort, c’est aujourd’hui au tour de Philippe Assalit, artiste itinérant, de lui affirmer l’inverse dans son exposition Monnaies – Portraits du Monde à Citéco – La Cité de l’économie qui souffle cette année sa cinquième bougie.

Quand la Banque centrale fait fonctionner la planche à billet, Philippe Assalit sourit ! Photographe et plasticien, scientifique de formation, le français à l’accent du sud-ouest chantant est un vrai touche-à-tout.

Artiste sériel, il s’est lancé depuis plusieurs années dans une œuvre mondiale.

Quels éléments représentent le mieux un pays ? Pour réaliser ses Portraits du monde, Philippe Assalit a dû faire un choix. Alors que les univers de la finance et de l’économie lui sont étrangers, c’est vers les « monnaies locales » qu’il s’est tourné pour trouver un fil conducteur à ses portraits.

« Au travers de mes rencontres, de mes voyages, raconte-t-il, je découvre des personnes ». Ces dernières sont de différentes nationalités ; Philippe Assalit en profite alors pour les photographier.

Femmes de billets

Exclusivement féminins, l’on ne peut pas dire que ces portraits soient le fruit d’une distribution artistique, ni même d’un choix particulier comme celui de représenter une « célébrité » par exemple. Philippe Assalit laisse le hasard des rencontres et de la vie décider.

Une fois réalisées, ces photographies deviennent alors un véritable terrain de jeu. L’artiste y implante par la suite, numériquement, des billets de la monnaie locale du pays de son modèle. La femme qu’il choisit pour représenter la nation est alors drapée, enveloppée dans cette monnaie fiduciaire. De son buste, coupé juste au-dessus de la poitrine, jusqu’à ses cheveux, le modèle se fond au cœur de cet aplat de billets. Elle ne semble alors faire qu’une avec ces impressions monétaires, tandis qu’un fond noir menaçant semble annoncer des horizons peu reluisants.

Ces femmes « sont une grande famille. Lorsqu’elles acceptent, de poser elles y rentrent alors » raconte Philippe Assalit. L’artiste fait part d’un lien affectif, presque paternel, avec ses différents modèles d’une prise. Si le procédé sériel usité par l’artiste peut faire transparaître une idée de travail à la chaîne, Philippe Assalit accentue, quant à lui, sur toutes les recherches préliminaires et intermédiaires entre le moment de la photo et sa composition numérique. Chaque portrait procède, dès lors, d’une réflexion originale.

Le photographe s’attache, par ailleurs, à « toujours étudier le pays » qu’il représente, notamment d’un « point de vue bancaire » affirme-t-il. Bien qu’il ne se rende pas toujours dans le pays de son modèle en question, il met un point d’honneur à connaître la nation sur laquelle il travaille.

Faites sauter la banque

C’est au cœur de sa mythique Salle des coffres que Citéco accueille ces différentes productions. Plus d’une vingtaine sur près d’une cinquantaine de portraits, sont ici présentés aux visiteurs.

Le lieu choisi pour l’exposition n’est pas anodin. Il est l’un des vestiges les plus remarquables de l’ancienne Banque de France qui se trouvait au sein de l’Hôtel Gaillard. Jusqu’en 2006, ce bâtiment qui n’était pas encore le « premier musée dédié aux sciences économiques » faisait en effet office de succursale pour la banque des banques française. Avec la création de la Banque Centrale européenne (BCE), désormais basée à Francfort (Allemagne), elle n’avait néanmoins plus lieu d’être.

Monnaie-fonction, monnaie-passion

En intégrant au cœur de la cité de l’Economie, cette exposition sur ces monnaies locales, on est tenté de s’interroger, avec l’arrivée de l’euro, sur la perte de notre monnaie propre. En effet, le projet européen a mis fin aux monnaies nationales pour intégrer les pays au sein du zone monétaire, dite « optimale », selon le terme économique consacré.

En sciences économiques, on attribue, classiquement, trois fonctions à la monnaie. Elle est une unité de compte, un intermédiaire des échanges et une réserve de valeur. L’œil de l’artiste est ici original puisqu’il en rajoute une quatrième : la monnaie est un « moyen de communiquer sur le monde » livre Assalit.

Source de pouvoir – on parle en effet de monnaie forte ou faible, voire de mauvaise ou bonne monnaie – elle serait également, en tant qu’objet propre, c’est-à-dire « pour elle-même » dans une tradition keynésienne d’un désir de liquidité, une variable permettant d’agir sur l’influence qu’aurait une nation.

Les échanges ont pu se développer grâce à l’intronisation de moyens de paiements qui ont remplacé le troc. Cependant, décorrélée de ses conséquences purement économiques portant sur les échanges, la monnaie serait-elle aussi un outil de pouvoir ? Cette idée d’une force intrinsèque attachée à ce petit bout de papier, serait belle et bien réelle pour Philippe Assalit.

On peut dès lors s’interroger si l’euro, en tant que monnaie agrégative de devises locales, fait toujours transparaître cette quatrième fonction de communication avec le monde. Notre monnaie communautaire n’aurait-elle pas plutôt des aspects aseptisés ?

« On peut regretter que la monnaie européenne n’ait pas choisi de représenter de grands Hommes sur leurs billets » souligne Emmanuel Constans, président délégué de Citéco. L’identification est en effet moindre, au contraire du franc et de ses différentes évolutions à travers le temps, qu’a souhaité présenter Assalit dans son portrait pour la France.

On est tenté d’y voir un message subliminal ; il n’existe pas dans l’économie d’une société quelque chose de plus insignifiant qu’une monnaie désincarnée.

Gabriel Moser.

Du 7 juin au 6 octobre 2024

Citéco – La cité de l’économie, 1, place du Général-Catroux 75017 Paris

Du mardi au dimanche, de 14h00 à 18h00, 19h00 le samedi. 

citeco.fr