Comment unir textile et Jeux Olympiques ? « Ce qui fait le pont entre les deux, c’est le crin de cheval » sourit Soline Dusausoy. Directrice adjointe du Musée de la Toile de Jouy, c’est sur les lieux de l’ancienne Manufacture Oberkampf que se dévoile Le crin dans tous ses éclats. Alors qu’à Jouy, la tradition est aux tapisseries monumentales, véritables fresques historiques mouvantes et inspirantes, la proximité avec Versailles, où se dérouleront les courses de chevaux olympiques, a fait sortir le domaine Oberkampf de son sujet premier.
Le crin de cheval est aujourd’hui un produit de luxe, notamment du fait de sa rareté. Autrefois pourtant, le crin était un matériau bien plus commun, utilisé pour réaliser des objets très divers. Le crin pouvait notamment servir à fabriquer des outils agricoles. « Il y avait de multiples utilisations, notamment en Camargue » nous livre Soline Dusausoy. Dans cette région méditerranéenne, au sud de la France, d’importants troupeaux de chevaux permettaient aux paysans de fabriquer le seden, une corde robuste servant de lasso. Cette dernière permettait d’atteler pour les champs les chevaux sauvages.
L’utilisation du crin remonte dans le temps. L’on retrouve des traces de ce seden dès le XIIe siècle en France. Mais c’est réellement dans le domaine de l’habillement que le crin a trouvé son écrin.
L’exposition nous présente notamment une pièce datant du XVIIIe siècle, Perruque d’un postillon des équipages prêtée par le Musée de Compiègne de la Voiture et du Tourisme. Le crin servait ici de signe distinctif : comment ne pas mieux reconnaître un employé de la Poste aux Chevaux, qu’en lui faisant porter un (le) chapeau en crin ? La réponse semble évidente, si bien que le crin devient un élément de l’uniforme.
Sous toutes les coutures
Distinctif, le crin est aussi décoratif. Une lithographie de la Bibliothèque Nationale de France, L’art du Perruquier, nous présente ainsi l’ensemble des fantaisies possibles et imaginables à l’époque avec le crin. Les temps étaient aux perruques fantasques, aux habits d’apparat, au faste des tenues, mais aussi… à la largeur.
Le crin dans tous ses éclats propose une rétrospective de ses différents usages en tant qu’habits. Entre les chapeaux, les manteaux et autres tenues pour hommes également, le crin donne son nom à la crinoline. Des sortes de robes, particulièrement amples, aussi larges que grotesques, que les dessins satiriques de l’époque moquaient déjà. Plusieurs reproductions de lithographies exposées au Musée Carnavalet à Paris font écho de cette période.
Les titres sont humoristiques – Heur et malheur de la Crinoline ; La crinolinomanie, etc -, l’on se moque gentiment de ces accoutrements bien peu naturels. Avant que la science ne découvre la chirurgie esthétique et que la technologie n’invente le phénomène des filtres, le crin fardait. Sa robustesse et son imputrescibilité l’ont rendu incontournable.
Notons cependant que le crin étant très fin – il mesure en moyenne 70 à 80 centimètre – ce dernier « ne s’utilise qu’en fil de trame » et non en fil de chaîne donc. En d’autres termes, le crin de cheval ne peut être tissé que dans la largeur du tissu, jamais dans la longueur. De ce fait, s’il existe bien des 100% coton ou laine, il ne peut y avoir de 100% crin de cheval. « On le mélange toujours avec du lin ou du coton » souligne Soline Dusausoy.
Tissage d’une réputation
Le tissage du crin de cheval a toujours rencontré un vif succès du fait des qualités de cette matière. Au-delà de l’habillement, le rembourrage était également un domaine où le crin s’utilisait. Il emplissait les fauteuils, comme le présente l’exposition, mais aussi les anciens matelas ou bien encore, permettait de réaliser des gants de boxe.
Et aujourd’hui ? Le monde de l’habillement a évolué, les crinolines ont été remplacées par des habits bien plus légers. Pourtant, un atelier tisse encore et toujours. Non loin du Mans, au cœur de la Sarthe, Métaphores – Le crin perpétue ce savoir-faire rare, depuis un brevet déposé en 1787 à Challes.
Bien loin des habits d’antan précédemment évoqués, cet atelier, qui a collaboré activement avec le musée pour préparer cette exposition, dévoile des collections dans l’ère du temps. L’atelier attache une grande importance à réaliser dans les règles de l’art du tissage du crin, l’ensemble de sa production. De ce fait, cette dernière est d’ailleurs très minime. “La manufacture ne produit que 2,5 mètres par jour” confie Soline Dusausoy, contre des centaines de milliers de kilos par jour pour le coton par exemple.
Dans toute la seconde partie de la scénographie, l’on découvre les collections actuelles imaginées. Le crin n’est pas sur le déclin ; il se porte, comme il peut également habiller un intérieur. Ainsi, ce dernier inspire des artistes pour du mobilier, notamment un canapé ou une étrange petite table basse cubique. L’exposition s’attarde également sur les inspirations contemporaines dans l’art ou la joaillerie.
Au jeu de la comparaison entre les siècles, on note une utilisation plutôt similaire du crin. En revanche, cette matière a connu un anoblissement certain. L’atelier Métaphores a métamorphosé le crin, le présentant comme une matière de luxe.
Au travers de cette exposition, l’on perçoit bien cette évolution ; du simple chapeau d’un officiel des Postes aux grandes pièces de collection, le crin est monté en gamme. Chose qui n’était pas cousue de fil blanc.
Gabriel Moser
Du 14 juin au 12 janvier 2025
Musée de la Toile de Jouy, 54 rue Charles de Gaulle, 78350 Jouy-en-Josas
Ouvert tous les jours, de 11h à 18h – le mardi de 14h à 18h.