Des Chimères : l’artiste Margaux Laurens-Neel au musée Gustave Moreau

Le musée Gustave Moreau ouvre ses portes à l’art contemporain, suite à la nomination de Charles Villeneuve de Janti comme directeur, avec la nouvelle exposition de Margaux Laurens-Neel. Mêlant céramiques et aquarelles, l’artiste propose une réinterprétation de l’œuvre inachevée Les Chimères de Gustave Moreau (1826-1898), rendant ainsi hommage au peintre symboliste, tout en remettant en question sa vision idéalisée et fantasmée de la femme.

Les Chimères de Gustave Moreau

Datée de 1884, Les Chimères est une huile sur toile restée inachevée, Moreau ayant cessé de la travailler à la mort de sa mère. Cette incomplétude donne une place prépondérante au dessin – la couleur ayant parfois tendance à faire perdre le trait. La ligne est nettement distinguée, faisant rendre compte de la richesse du tracé.

Dans une publication de novembre 1897, l’artiste écrivait à propos de cette toile : « Cette île de rêves fantastiques renferme toutes les formes de la passion, de la fantaisie, du caprice chez les femmes […] ».

Moreau, qui affirmait que « l’intrusion sérieuse de la femme dans l’art serait un désastre sans remède », voit aujourd’hui ses propos remis en question, plus de 140 ans après la création de Les Chimères, par la jeune artiste Margaux Laurens-Neel. Tout en rendant hommage à Moreau, l’artiste déconstruit subtilement son idéalisation de la femme.

Margaux Laurens-Nell : penser en volume avec la céramique

Née en 1997, Margaux Laurens-Nell est une artiste peintre, photographe et sculptrice franco-britannique. Diplômée des Beaux-Arts de Paris, elle a fait un passage aux Beaux-Arts de Vienne.

D’abord peintre, la céramique prend progressivement une place croissante dans sa pratique artistique : elle lui permet de penser en volume. Cette démarche rejoint la fascination qu’éprouvait Moreau pour la sculpture. En 1857, son Grand Tour en Italie lui permit d’étudier les proportions des sculptures antiques. Avec l’ambition de passer son art en sculpture, il se voyait comme un sculpteur de la peinture.

L’exposition présente d’abord les céramiques de Margaux Laurens-Nell, les « Chimères sorties de terre », puis, à l’étage, les aquarelles de l’artiste, les « Chimères peintes et florissantes ».

Céramiques

Les onze sculptures présentées dans l’exposition sont le fruit des recherches de l’artiste contemporaine, qui, à travers ses céramiques, cherche à mettre en volume les figures féminines de la toile inachevée de Moreau.

Parmi elles, La femme au rocher est la seule à ne présenter aucune bizarrerie. Les autres sculptures sont hybrides. On y trouve la Griffonne, inspirée de plus d’une vingtaine d’études de Moreau, arborant des ailes de perroquet aux couleurs inversées ; la Femme cigale, tirée de dessins préparatoires ; une femme-tortue, la Testudinata ; une licorne ; une femme-harpie, la Harpie d’Orgueil ; une petite chouette aux pattes de panthères et cornes de bouc, l’Athene Noctua ; ou encore une femme au corps reptilien ou draconique, nommée la Rempante.

Dessins

Les trente-cinq aquarelles et gouaches de Margaux Laurens-Nell sont présentées dans le cadre du Salon du dessin de Paris. Là encore, l’artiste isole des motifs puisés dans l’œuvre de Moreau, variant entre représentations végétales, portraits illustrant le désir féminin, et corps nus, charnels et sexuels.
Elle cherche à se rapprocher du modèle en rendant compte de sa réalité, s’éloignant ainsi de l’onirisme et de l’idéal forgé par Moreau sur l’Orient et les corps féminins. Pour ce faire, elle représente d’abord les physiques idéalisés tels qu’il les a dessinés, puis s’inspire de modèles méditerranéens d’aujourd’hui.

La couleur rouge caractérise les dessins de Margaux Laurens-Nell, gorgeant de sang les joues des femmes représentées. Elle met en peinture la vie de ces figures, reflétant leur désir. Il s’agirait, selon elle, d’une « irruption du vivant ».

Une démarche commune : le syncrétisme

Margaux Laurens-Neel explique : « Dans Les Chimères, on retrouve des références à beaucoup d’autres œuvres que Gustave Moreau a créé précédemment ainsi que sa fascination pour le gothique, pour l’univers médiéval, que ce soit dans l’architecture de la ville ou les costumes des femmes. En parallèle, il y a toutes ces femmes nues, entrelacées avec des créatures merveilleuses et monstrueuses qu’il a inventées, décalquées, assemblées à la manière d’un patchwork… Je trouve ça absolument fascinant ».

Dans son propre travail, elle met en avant la méthode de Moreau, qui s’organisait une sorte d’ « herbier-répertoire » selon ses mots, une collection variée de motifs dans lesquels il puisait pour ensuite élaborer ses compositions.

Margaux Laurens-Neel s’inscrit dans la démarche de Moreau en matière de syncrétisme, tous deux mêlant iconographies antiques, médiévales, chrétiennes, orientales, égyptiennes, … et partageant une obsession pour le féminin et l’ambiguïté entre vice et vertu.

Cette relecture contemporaine de l’œuvre Les Chimères de Gustave Moreau par l’artiste Margaux Laurens-Neel est une ode à la femme et à la libération de son énergie charnelle. Qu’elles soient merveilleuses ou cauchemardesques, les représentations féminines mêlent idéalité et réalité.

Agathe Comby

Du 27 mars au 7 juillet 2025

Musée national Gustave Moreau, 14 Rue Catherine de la Rochefoucauld, 75009 Paris
Ouvert tous les jours (sauf mardi) de 10h à 18h
https://musee-moreau.fr/fr