« L’âme des sons précède la naissance » (Hubert Haddad). C’est sous cette impulsion que le compositeur et chanteur Abed Azrié nous convie à une soirée unique mêlant musique, récit de vie et poésie, pour célébrer la sortie de son ouvrage Éperdument : Un enfant d’Alep au bord de la Seine aux éditions Al Manar, maison dédiée aux arts et littératures des pays de la Méditerranée. Le 15 mai 2025, le Phonomuseum de Paris s’est transformé pour accueillir une soirée de lancement pas comme les autres. Dans le cadre intime du musée, l’artiste s’est fait à la fois chef d’orchestre, chanteur et conteur. À travers une sélection musicale éclectique, allant de Bach et Debussy aux influences orientales de ses propres compositions, Abed Azrié a donné vie aux pages de son livre.


Azrié affirme : « Si on me demande ce que je préfère dans la musique, ma réponse est sans hésitation : les musiciens. Sans eux, toute ma musique demeure voilée. » Entouré de musiciens fidèles et compagnons de longue date, au violon, à l’accordéon ou à la cithare, il tisse, au fil de la soirée, une partition vivante faite d’improvisations, de lectures de poèmes, d’anecdotes intimes et d’hommages musicaux. Chaque morceau, choisi ou inventé, devient de près ou de loin une résonance d’un chapitre de son livre, une traduction sonore d’un épisode de sa vie. La scène devient ainsi le prolongement naturel de son livre: un lieu où le verbe s’incarne dans la mélodie, où l’écriture se fait musique. Ce métissage instrumental, signature d’Azrié, couplé à sa voix, fait le lien entre les âges, les cultures, les influences, pour faire dialoguer l’Orient et l’Occident, le passé et le présent, l’intime et l’universel.

Paru en avril 2025, Éperdument : Un enfant d’Alep au bord de la Seine est un récit profondément habité, dans lequel Abed Azrié retrace les contours de son parcours artistique et humain.
Il y revient sur son enfance en Syrie, élevé par une mère orpheline et lumineuse, dans un contexte de privations et de traditions rigides.
Avec beaucoup de transparence, Abed Azrié déclare : « Au Moyen-Orient, vous n’existez pas individuellement », avant d’affirmer : « Je fuyais l’aridité de ma vie quotidienne, les conventions, le poids des traditions musicales. »
Il y raconte également sa passion précoce pour les sons de toute origine, qu’ils soient religieux, profanes ou populaires, et son rejet des carcans qui limitent la création. Très tôt, les disques venus d’Europe et la radio lui révèlent un ailleurs possible : une « autre Méditerranée », synonyme de liberté. C’est une évidence pour celui chez qui la musique est inscrite « de façon quasi biologique » : en 1965, à l’âge de 19 ans, Abed Azrié quitte la Syrie pour la France, en quête d’une liberté artistique que son pays natal ne pouvait lui offrir.
Éperdument est à la fois récit d’exil, carnet d’artiste, essai musical et spirituel, où s’entrelacent réflexions sur la foi, les mythes, la création et l’amour. L’auteur y explore les racines communes des religions et se livre à une réinterprétation contemporaine des textes anciens, qu’il met souvent en musique, comme avec l’Épopée de Gilgamesh ou l’Évangile selon saint Jean. Éperdument : Un enfant d’Alep au bord de la Seine explore l’intersection entre musique, religion, poésie et mémoire. Abed Azrié y réfléchit à la place du sacré dans nos vies, questionne les traditions, confronte les mythes bibliques aux textes sumériens, et redonne sens aux écritures par la musique. À travers cette soirée, Abed Azrié transforme la lecture en expérience sonore, célébrant la rencontre du verbe et de la mélodie. Chaque intervention musicale, chaque mot prononcé, chaque note jouée forme une introduction vivante au livre. Une mise en bouche poétique et touchante, comme une version sonore et incarnée du texte.
Abed Azrié incarne la figure rare d’un musicien érudit, nomade, inclassable et Éperdument devient naturellement le prolongement de cette démarche : un livre à plusieurs voix, à lire comme on écoute une œuvre musicale.
Jacques Gehringer Delcroix
Éperdument : Un enfant d’Alep au bord de la Seine de Abed Azrié,
éditions Al Manar, parution en mai 2025, 170 pages, 22€