Festival mesnographies : Le village des Mesnuls devient reflet du monde

Véritable agent de démocratisation culturelle et de dynamisme territorial, le festival mesnographies réinvestit pour la cinquième fois le magnifique parc des Mesnuls. Niché au cœur d’un village paisible, cet écrin de verdure devient, le temps d’un été, un espace de réflexion. Celui qui s’y promène est invité à décentrer son regard, à écouter ce que le sublime murmure en silence. Du 7 juin au 14 juillet 2025, 16 photographes venus de 10 pays différents installent en plein air un dialogue vital.

Derrière la force de cette proposition, une aventure collective. Claire Pathé, membre du collectif Fetartet de l’équipe du Festival Circulation(s), assure la direction artistique aux côtés de Maud Guillot, ancienne graphiste et photographe de mode, aujourd’hui curatrice engagée. La coordination artistique est confiée à Clara Chalou, formée en ingénierie culturelle, familière des grands lieux de création comme le CENTQUATRE à Paris. Enfin, rien ne serait possible sans les 50 bénévoles, habitants du village ou des communes voisines qui portent ce projet à bras ouverts. Ici, tout se construit ensemble, main dans la main, dans un esprit de partage et de co-construction.

Une itinérance photographique

L’exposition ne se limite pas au parc des Mesnuls. Elle se prolonge au-delà, s’étirant jusqu’aux communes de Tremblay-sur-Mauldre, Galluis, Bazoches-sur-Guyonne et Clairfontaine. Une itinérance en terres yvelinoises, propice à une villégiature culturelle, où le regard se déplace, s’aiguise, se transforme. À chaque étape, des histoires émergent, singulières et universelles à la fois.

La mémoire d’une traversée identitaire

C’est d’abord le silence des corps déplacés que donne à voir Alexander Kot-Zaitsau, biélorusse, témoin et héritier de l’immigration post-soviétique. Il capte dans les gestes suspendus l’écho d’un exil forcé, entre mémoire intime et mémoire collective. Tout près, Fernanda Tafner, née au Brésil dans les années 1980, se penche sur la figure de sa tante Elide, dont la vie entière se déploie dans les murs d’un intérieur figé.

Puis vient Frédérique Barraja, qui redonne visage et puissance au combat de sa belle-sœur Julie, survivante d’un cancer du sein et des ovaires. Ses portraits en noir et blanc, pris au bord de la mer ou dans la montagne, célèbrent une femme nue, entière, debout. Il ne s’agit pas ici de montrer l’absence mais bien la force. « L’océan me nettoie, les algues me coiffent, la montagne pousse mes limites« , dit Julie.

Dans le bassin du parc des Mesnuls, une mise en abîme flotte au vent : Le Plongeon. Œuvre de la photographe allemande Henrike Stahl, elle met en scène sa fille Rio, enfant atteinte de trisomie 21, qui saute dans l’eau en compagnie d’Ana, son amie également en situation de handicap. À travers leurs gestes libres, elles nous rappellent que le courage n’est pas un mot, mais une succession de petits élans. Elles plongent dans la vie, simplement.

L’esthétique d’être soi

Dans les champs du parc, Pierre & Florent, duo complice depuis 2010, poursuivent cette exploration identitaire avec leur série Mémoire Habillée. Ici, l’habit fait le mythe : chaque modèle choisit des vêtements et objets symboliques, qu’il empile en une montagne à gravir. Le sommet, c’est soi-même. Ce soi intime, fragile et fort, que l’on atteint par couches successives.

Plus loin, Letizia Le Fur, présente l’Âge d’or, issue de sa série Mythologie. Un homme nu, se réapproprie une nature qui s’embrase en une symphonie de couleurs. L’être humain y avance tel un mythe incarné. C’est un Éden possible, un monde où les frontières sociales s’effacent au profit d’un lien retrouvé avec les éléments. Là, le corps, nu et libre, se réinvente en même temps que la terre qui l’accueille.

Multiples sororités

“Le choix de la sororité comme fil d’Ariane n’est pas un acte féministe, mais un acte nécessaire”, affirme la commissaire Claire Pathé.

Hoda Afshar nous rappelle ce que signifie résister. Avec sa série In Turin, née en 2022 après la mort tragique de Jina Amini en Iran, elle documente les visages du deuil collectif. Portrait de dos, chaque cliché est une mémoire en lutte, un cri discret mais puissant contre l’oubli.

Puis vient Maja Daniels, qui retourne la terre de Suède pour exhumer elle aussi, d’autres récits oubliés. Dans Gertrud, elle s’inspire d’une enfant accusée de sorcellerie à Älvdalen pour tisser un récit entre archives et fiction. La sororité convoque le devoir de mémoire.

Melissa Shriek poursuit cette exploration par une série vibrante d’humanité : Ode à l’amitié féminine. Elle y capture les moments bruts, imparfaits, parfois drôles ou tendres, d’une fraternité vécue au féminin. Ses images sont une partition honnête, sans fard.

Enfin, Thalia Gochez, photographe autodidacte américano-mexicaine, célèbre les femmes non-blanche. Pas comme sujet d’étude mais comme actrices de leur propre image. Dans la série Honey, réalisée sur cinq ans avec une équipe entièrement féminine, elle offre à ces femmes une visibilité rare, authentique, digne. « Je souhaite honorer les femmes racisées telles qu’elles sont, dans leur beauté et leur vérité« , dit-elle.

L’environnement en partage

Dans le sillage d’un monde bouleversé, le festival trace un sentier à travers les paysages du dérèglement climatique. En partenariat avec le Parc naturel régional de la Haute Vallée de Chevreuse, ce parcours hors-les-murs, intitulé Le jardin n’est pas clos, s’ouvre comme une respiration.

David Bart, familier du bassin d’Arcachon, capte dans sa série Exotic Waste Life les traces toxiques de notre époque. Les déchets y deviennent vestiges, presque ornementaux, dénonçant une esthétique du déni. En écho, les études florales saturées d’Etienne Francey proposent une autre forme de mémoire : celle d’une nature qui change trop vite. Ses photographies se teintent d’irréel, comme si la lumière cherchait à retenir un monde déjà en train de disparaître.

 Cette tension lumineuse se prolonge dans la série Dystopie Chromatique de Guilhem Touya. Des paysages aux teintes saturées s’y dévoilent dans une clarté irréelle, comme frappés d’un feu ancien. Les forêts et les animaux, spectres figés dans la lumière blanche des flashs, composent une fresque d’un futur que l’on redoute.

Plus au sud, M’hammed Kilito raconte la vie dans les oasis marocaines, territoires à la fois fragiles et essentiels. Dans Before it’s gone, il saisit l’équilibre brisé de ces lieux uniques, menacés par la sécheresse, l’exode rural, l’épuisement des nappes phréatiques. Ses photographies documentent, mais elles relient surtout : habitants, paysages, traditions.

En Islande, Sandrine Elberg adresse une lettre aux glaciers. Sa série Jökull est une ode à la beauté de ces géants de glace, marqués de cicatrices et de mystère. Ses images portent en elles la gravité d’un adieu : celui d’un glacier disparu,Okjökull, déclassé en 2014, à qui l’on a érigé une stèle comme on le fait pour les morts.

Enfin, Vilde Rolfsen, née à Oslo, nous plonge dans une matière familière et ignorée : le plastique. Sa série Plastic Bag Landscapes détourne les codes de la photographie commerciale pour faire surgir des paysages fantasmés, à partir de sacs abandonnés dans la rue. Une manière de rappeler, sans jugement mais avec force, l’absurdité de notre monde saturé d’objets jetables.

Exil, handicap, sororité, identité, maladie, crise climatique et environnementale : bien plus qu’un simple événement artistique, mesnographies se veut un médiateur d’inclusion et un catalyseur des grandes discussions qu’il est urgent d’ouvrir.

Candice Guettey

Du 7 juin au 14 juillet 2025.

Parc municipal des Mesnuls, 13 Grande Rue, 78490 Les Mesnuls.

Accès libre du lundi au dimanche.