Paru le 4 juin 2025,Black Gospel, co-écrit par Laurent-Frédéric Bollée et Boris Beuzelin, est un roman graphique en noir et blanc aussi captivant qu’intelligent, qui mêle enquête policière et mémoire historique.

Inspiré des Career Girls Murders, survenus le jour du discours de « I Have a Dream » en 1963, Black Gospel rejoue l’affaire vingt ans plus tard en imaginant deux victimes noires, inversant ainsi les rôles pour mieux interroger l’oubli et les biais mémoriels. Le récit tisse en effet une intrigue, où la mort de William Edward Burghardt Du Bois, survenue le jour même du discours de Martin Luther King, passe inaperçue, éclipsée par l’événement historique. Figure trop souvent oubliée de la lutte afro-américaine, Du Bois devient à alors le symbole de cette mémoire occultée et le moteur d’une terrible vengeance.
L’intrigue est limpide, mais terriblement efficace : des meurtres en série, une revendication posthume, un tueur que l’on connaît dès les premières pages, et pourtant, on ne décroche pas. L’histoire se déploie entre flashbacks à Accra, scènes new-yorkaises et enquêtes à Washington, révélant page après page des indices sur les motivations du meurtrier. Ce n’est pas tant le « qui » que le « pourquoi » qui nous tient en haleine du début à la fin.

Les allers-retours constants d’un continent à l’autre ne sont pas que des changements de décor, ils dévoilent les machinations complexes à l’œuvre, où s’entrelacent enjeux personnels, historiques et politiques. Des passages qui permettent une mise en lumière des contrastes entre les réalités vécues des deux côtés de l’Atlantique, tout en révélant progressivement le mobile d’un meurtrier en soif de vengeance. Au-delà du simple puzzle policier, c’est une plongée dans des blessures collectives et des revendications longtemps étouffées, qui nourrissent le récit.

Au cœur de cette enquête, un duo de flics que tout oppose : Jack Kovalski, l’anti-héros brut, raciste et cynique, et Jimmy Cheng, jeune enquêteur perspicace, idéaliste et constamment rabaissé. Ensemble, ils avancent tant bien que mal, révélant à travers leurs confrontations les tensions sociales et raciales de cette époque.
Graphiquement, Black Gospel est un bijou, la palette restreinte en noir et blanc sert avec force le propos, plongeant le lecteur dans une atmosphère tendue, grave, presque sacrée. De la même manière, le titre, véritable profession de foi, résonne comme un hommage aux voix oubliées, à l’Histoire qu’on a trop vite laissée dans l’ombre.

À la fois thriller palpitant, réflexion politique et hommage vibrant à la mémoire afro-américaine, Black Gospel est une prouesse graphique, qui fonctionne à la fois comme le polar classique qu’on dévore et la leçon d’histoire engagée qui fait apprendre et réfléchir.
Jacques Gehringer Delcroix
Black Gospel, de Laurent-Frédéric Bollée et Boris Beuzelin,
Editions Robinson Eds, paru le 4 juin 2025 – 168 pages – 25,95 €