Caen, mille ans de regards — un parcours d’art contemporain à ciel ouvert

En 2025, Caen célèbre 1 000 ans depuis sa première mention écrite (l’an 1025) sous le nom de Cadumus, déjà port vers l’Europe médiévale. Pour marquer ce millénaire, la ville a développé un programme culturel ambitieux dont un parcours d’œuvres d’art contemporain en plein air, articulé autour du patrimoine et de l’histoire, invitant à repenser l’espace urbain à travers le prisme de la création contemporaine. Plutôt que d’ériger des statues ou de replonger uniquement dans les plis d’un passé glorieux, elle invite des artistes contemporains à converser avec elle, à dialoguer avec ses murs, ses tours, ses silences.

Ainsi est né le Parcours d’œuvres d’art contemporain du Millénaire, comme un fil rouge tendu dans les rues de la ville, entre histoire et imagination, entre visible et invisible.

Caen se feuillette comme un livre ancien, palimpseste d’architectures, de guerres, de renaissances. Pour son millénaire, elle choisit de ne pas muséifier, mais d’inviter la création. Des dizaines d’artistes investissent des lieux emblématiques : la tour Puchot, les remparts du château, l’abbatiale aux Hommes, les rives de l’Orne, les ruelles vibrantes de la rue Écuyère.

Depuis le 21 juin et jusqu’à l’automne 2025, plus de 40 œuvres — installations monumentales, sculptures, œuvres immersives — sont déployées dans des sites emblématiques de Caen et de la communauté urbanisée Caen la mer : le château, les tours, les églises, les places ou encore les rives de l’Orne.

Parmi les œuvres d’art réalisées par des artistes locaux et internationaux :

101e clocher studio 5•5

Le 101ᵉ clocher est une installation poétique et ironique qui rend hommage aux cent clochers de Caen, dont beaucoup furent détruits ou oubliés. Un 101e clocher, contemporain, qui célèbre l’histoire de la ville, mais qui marque surtout de sa pointe rouge un nouveau quartier à vivre et le futur de la ville : la Presqu’île. Visible depuis la périphérie du port et au-delà, c’est un point de repère géographique et chronologique, offrant une liaison entre le centre historique et la ville en devenir. Localisé sur la Presqu’île, comme un phare ou une balise maritime en écho au pont rouge de la Fonderie, il renforce le canal comme entrée maritime à part entière de la ville et symbolise le port comme une véritable place de Caen.

La tour et le sablier — Vincent Mauger

Dans la tour Puchot, l’une des sentinelles de pierre du château, Vincent Mauger creuse un temps suspendu. Son installation, La Pierre et le sablier, fait jaillir de l’espace une forme géologique renversée — cratère ou entonnoir, on ne sait plus. Des tubes d’acier peints, vertigineux, construisent une illusion de vide, de chute, d’abîme.

On regarde vers le bas comme on scrute une mémoire. Le sablier géant devient métaphore du temps qui passe, de l’histoire accumulée, mais aussi de sa fragilité. Le château, bastion militaire, devient cavité poétique. Une œuvre à vivre autant qu’à voir.

Fer forgé et cris de guerre — Elvire Bonduelle

Sur les remparts, une phrase se déploie, Iron Will, volontaire, répétée. Trente-sept mètres de lettres de métal, dressées face au ciel, face au monde. Elvire Bonduelle y inscrit la volonté inébranlable de Guillaume, conquérant mais humain, écho à la ténacité des bâtisseurs et des rêveurs.

Sculptures silencieuses, mémoires fragiles

Dans l’église Saint-Pierre, Vladimir Skoda installe ses sphères d’acier poli. Elles reflètent les ogives, les vitraux, le ciel. Objets cosmiques nichés dans une nef gothique, elles interrogent l’infini depuis la pierre. Une seule direction ? demande l’artiste. À chacun sa réponse.

Au cloître de l’Abbaye-aux-Hommes, Françoise Pétrovitch dépose un enfant. Le garçon à la poupée, tout en finesse, tout en pudeur. Une sculpture douce qui semble respirer le silence du lieu, mais aussi porter les souvenirs des enfants de la guerre, des années sombres de 1944. L’enfance, la fragilité, la résistance.

Lumières, reflets, perspectives

Georges Rousse, magicien de l’illusion, investit un ancien tribunal, le Palais Fontette. Là, il peint l’espace pour mieux le recomposer dans l’œil du visiteur. L’œuvre Perspective n’existe que depuis un point précis. Jeu de géométrie, acte de foi dans le regard. Le mur s’efface, l’image surgit. Art éphémère mais marquant.

Dans l’hôtel de ville, Tom Nadam fait éclater des ciels dorés. Peintures monumentales où le climat semble imploser en une beauté inquiète. L’heure dorée n’est pas seulement celle du soleil couchant, c’est celle, peut-être, d’un monde au bord, mais encore lumineux.

Les animaux de Michel Bassompierre

Pour le Millénaire, sont présentés 10 sculptures magistrales de ses gorilles, ours bruns et polaires. Installées du 28 mai au 3 novembre devant l’Abbaye aux Hommes de Caen et sur le front de mer de Ouistreham Riva-Bella, ses œuvres de plus de 2 mètres de haut permettent de sentir la grandeur et la vitalité du règne animal, tout en percevant sa fragilité.

Caen, loin d’être un musée figé, choisit de se réinventer.

Ce parcours, fruit d’un travail collectif — artistes, institutions, habitants — n’est pas une parenthèse. Il s’inscrit dans une volonté forte de transformer durablement le paysage culturel de la ville. Certaines œuvres resteront. D’autres laisseront une trace dans les esprits. D’autres encore préfigureront les projets futurs : la Millenial Academy, le renforcement du FRAC Normandie, ou encore la naissance du musée Gandur, temple de l’art contemporain à venir.

Caen a mille ans. Mille ans de pierres, de guerres, de savoirs, de silences. Mille ans que les hommes y marchent, y tombent, y aiment. Et aujourd’hui, ce sont des artistes qui y déposent, non pas des commémorations figées, mais des éclats vivants, des fragments de sens, des invitations à voir autrement.

Et peut-être qu’un jour, dans mille ans, quelqu’un retrouvera la trace de La Pierre et le sablier ou du garçon à la poupée. Et se demandera : quel était ce temps où la ville parlait par la main des artistes ?

Le parcours sera enrichi tout au long de l’année 2025, avec de nouveaux dispositifs inaugurés à l’automne, agrémentant les 300 événements culturels du Millénaire.

Véronique Spahis

https://www.millenairecaen2025.fr/fr/un-parcours-doeuvres-en-plein-air