Dans L’Œil du collectionneur, en route vers le futur musée caennais

À Caen, l’Abbaye-aux-Hommes accueille une exposition inédite et foisonnante : Dans l’Œil du collectionneur, prélude flamboyant au futur musée Gandur. Entre masques océaniens, photographies de Samuel Fosso, éclats de Soulages ou confidences de Basquiat, c’est tout un monde qui s’ouvre sous les voûtes. Une expérience autant intime que visionnaire.

Une promesse de musée

Il y a des expositions qui montrent, d’autres qui pressentent. Celle-ci, inaugurée fin juin dans le cadre du millénaire de Caen, trace les contours d’un musée qui n’existe pas encore, mais que l’on sent déjà battre. Le musée Gandur, promis pour 2030, s’esquisse à travers 81 œuvres issues de la collection personnelle de Jean-Claude Gandur, industriel suisse, passionné d’art et humaniste convaincu.

Son ambition : donner à voir sans exclure, mêler les époques, les continents, les langages. De l’Égypte ancienne à l’art contemporain africain, des arts décoratifs européens aux grandes figures modernes, le parcours évite l’exhaustivité pour privilégier l’émotion, la surprise, l’instinct.

Une scénographie sensible et audacieuse

Organisée en quatre grands modules — Collection, Instinct, Audace, Transmission — la scénographie privilégie un dialogue entre des œuvres parfois très éloignées dans le temps et l’espace. Le parcours reflète ainsi la conviction du collectionneur : l’art est un langage universel, un vecteur d’échange et de partage, capable de créer des ponts entre les cultures. Un projet muséal d’envergure pour Caen et la Normandie

Le commissaire de l’exposition, Stéphane Grimaldi, parle d’un parcours « rock’n’roll » : un accrochage volontairement libre, parfois inattendu, qui laisse place au choc des formes et des idées. Loin de l’ordre muséal habituel, c’est un labyrinthe d’émotions que l’on traverse.

À l’entrée, un masque Baining de Papouasie-Nouvelle-Guinée, spectaculaire et chamarré, donne le ton : ici, l’objet n’est pas isolé dans un écrin mais replacé dans le grand théâtre du monde.

Un peu plus loin, un monochrome lumineux de Pierre Soulages tutoie une commode Louis XV ; un bas-relief égyptien s’efface doucement devant le regard satirique d’Aboudia, jeune prodige ivoirien. Le choc est volontaire, stimulant, souvent poétique.

Parmi les pépites exposées, quelques noms claquent comme des drapeaux : Samuel Fosso, dont les autoportraits travestis oscillent entre hommage, ironie politique et performance identitaire ; Jean-Michel Basquiat, avec un dessin tendu comme un cri, où se mêlent symboles urbains, griffures et éclats d’enfance ; Niki de Saint Phalle, toujours flamboyante, dont une sculpture exubérante semble rire au nez du sérieux muséal ; Un masque Baoulé, silencieux et souverain, concentré de spiritualité ; Une tapisserie médiévale, fine et charnelle, rappel d’un temps où les murs parlaient en fil de soie ; Et puis des objets plus rares, discrets, comme ce bijou étrusque, à la beauté nue, ou ce poignard cérémoniel d’Afrique de l’Ouest, fragile, mais terriblement présent.

La voix du collectionneur

La grande singularité de l’exposition, c’est l’audioguide enregistré par Jean-Claude Gandur lui-même. Sa voix guide le visiteur, non pas comme un conférencier, mais comme un hôte qui partage son salon. Il raconte ses coups de foudre, ses hésitations, parfois ses regrets. L’art devient ici une histoire d’humanité, non d’expertise.

Loin d’un discours érudit, ce sont des récits personnels, parfois drôles, souvent touchants, qui se tissent autour des œuvres. On comprend alors que ce collectionneur n’est pas un conservateur, mais un arpenteur de beauté. Quelqu’un qui regarde avec le cœur, pas avec les gants blancs.

Un musée en gestation

Le futur musée Gandur à Caen promet d’être à l’image de cette exposition : ouvert, accessible, exigeant mais non élitiste. Plus qu’un lieu d’art, un espace de transmission, pensé comme un atrium vivant, propice à l’échange, à l’expérience collective, au croisement des disciplines.

On y parle déjà de galeries immersives, de parcours sensoriels, de médiation pour tous les publics. Cette exposition en est le manifeste inaugural : un musée sans murs, mais déjà riche de regards.

Dans l’Œil du collectionneur n’est pas une exposition parmi d’autres. C’est le premier chapitre d’un musée en devenir, un rêve déjà éveillé, offert en partage.

Véronique Spahis

Du 26 juin au 28 septembre 2025

Hôtel de Ville de Caen, Abbaye-aux-Hommes, Esplanade Jean-Marie Louvel, 14000 Caen

Tous les jours de 9h à 19h (9h30 le week-end)

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