Fanny Ferré – Au cœur du Vivant : la terre, le silence, l’invisible

L’exposition Au cœur du Vivant s’inscrit dans le cadre des 50 ans de la Galerie Capazza. Pour célébrer cet anniversaire, la direction artistique a choisi de faire dialoguer les œuvres puissantes et sensibles de Fanny Ferré avec les volumes architecturaux du Palais Jacques Cœur, chef-d’œuvre emblématique du gothique flamboyant.

Dans les salles anciennes du Palais Jacques Cœur, il ne s’agit pas simplement d’une exposition. C’est une présence. Une lente montée du silence, de la matière, de l’humanité fragile. Au cœur du Vivant, qui réunit plus de soixante sculptures de Fanny Ferré, nous invite à entrer dans un monde discret, sans tapage, mais chargé d’une intensité rare — un monde de terre, de regards baissés et de gestes en attente.

L’artiste : parcours et inspiration

Fanny Ferré, née le 6 juin 1963 à Évreux (Eure), a commencé très jeune à modeler la terre, encouragée par ses parents qui documentaient ses créations dès l’enfance. De 1980 à 1983, elle étudie aux Beaux‑Arts d’Angers, puis rejoint l’atelier de Georges Jeanclos à Paris en 1983. Après un stage à la Manufacture de Sèvres et un travail sur la taille directe dans l’atelier de Jean Cardot, elle se forge une identité artistique propre dans les années 1990. Lauréate de la Fondation Bleustein‑Blanchet en 1990, elle développe un langage sculptural unique, centrée sur la figure humaine, la matière et l’émotion.

Depuis l’enfance, Fanny Ferré façonne la terre avec la certitude des gestes instinctifs. Elle n’utilise pas d’armature, travaille la matière à la main, dans une approche directe, organique. La terre semble lui parler, lui proposer ses formes, ses équilibres. Elle en tire des figures humaines d’une finesse troublante, nées de l’argile comme d’un rêve ancien. Ses figures incarnent la vie, le voyage et l’altérité, au-delà des déterminismes géographiques ou générationnels.

Ses personnages – hommes, femmes, enfants, groupes, animaux parfois – surgissent dans une immobilité vibrante. Ils sont debout, assis, allongés, mais jamais figés. Ils habitent un entre-deux, comme si leur histoire venait de commencer, ou s’était interrompue juste avant notre arrivée.

Une présence dans la pierre

Le Palais Jacques Cœur, fleuron du gothique civil, devient ici le partenaire silencieux d’une mise en scène magistrale. Les voûtes élevées, les murs de pierre blonde, les escaliers tournants se mettent au diapason de l’œuvre. Les sculptures n’envahissent pas l’espace, elles y entrent doucement, le traversent, s’y posent avec humilité.

Dans une galerie étroite, un enfant regarde le sol. Dans une alcôve, une figure veille. Sous une fenêtre haute, un couple semble s’apprêter à partir, ou à rester. La lumière naturelle joue un rôle clé : elle caresse les figures, souligne les lignes, efface les détails. Elle donne à voir, mais jamais tout à fait.

Fanny Ferré – Au cœur du Vivant

L’exposition réunit une soixantaine d’œuvres, en terre cuite principalement, mais aussi des pièces en bronze. Ces créations — petits personnages, figures aux postures silencieuses, visages contemplatifs — traduisent un éloge du vivant, du mouvement intérieur, du souffle créateur.

Chaque sculpture, parfois baptisée « pépite » par les galeristes, concentre subtilement une histoire : rencontres, voyages, esquisses de récits humains. Les personnages sont sans âge, sans appartenance réelle, symboles d’une humanité universelle et intemporelle.

Les figures de Ferré sont sans époque, sans identité précise. Elles viennent d’un monde sans frontière, portées par une mémoire collective. Certaines rappellent les fouilles anciennes, les visages retrouvés dans le sable, les statues oubliées. D’autres semblent tout à fait d’aujourd’hui, avec leur pudeur, leur inquiétude discrète, leur simplicité vibrante.

Il n’y a chez elle ni exotisme ni folklore. Juste une attention intense portée à l’humain, à ce qu’il y a de plus fragile et de plus essentiel. Les personnages ont les yeux mi-clos, les traits doux, les gestes retenus. Ils sont à la fois proches et inaccessibles.

Selon les commissaires — Elisabeth Braoun (administratrice du palais) et Laura Capazza‑Durand (directrice de la galerie) — Ferré incarne une “figure païenne”, en référence à une force créatrice primitive, ancrée dans la terre et l’intuition, mais dirigée vers la réflexion sur la condition humaine contemporaine.

Son travail incite à méditer sur le rapport du corps à la matière, l’intériorité du geste créatif et la notion de liberté dans la forme.

Une sculpture du silence

Ce que donne à voir Fanny Ferré, ce n’est pas une scène spectaculaire. C’est une présence modeste, presque imperceptible, qui s’impose par sa densité. On avance de salle en salle comme dans un sanctuaire. On baisse la voix. On ralentit. Ce n’est pas l’œuvre qui se montre, c’est le visiteur qui apprend à regarder.

L’artiste n’impose rien. Elle ne commente pas, n’explique pas. Ses sculptures parlent sans mots. Elles racontent le passage, l’attente, l’amour simple, le lien, le départ. Le regard du spectateur devient complice, comme s’il devinait un secret que personne n’a pourtant formulé.

Fanny Ferré s’inscrit à contre-courant de nombreux courants contemporains. Elle ne cherche ni la provocation, ni la théorie, ni la posture. Elle fait ce que peu d’artistes osent encore : donner corps à l’humain dans sa simplicité, sans ironie, sans détour. Son œuvre rappelle que la matière peut être un langage, que la forme peut transmettre une émotion brute.

Elle n’est pas seule dans cette voie, mais elle s’y tient avec une sincérité rare. Et cette fidélité à la main, à la terre, à la lenteur, trouve ici un écho puissant dans le cadre exceptionnel du palais.

L’architecture comme écrin vivant

Le dialogue entre l’œuvre et le lieu est l’un des grands atouts de cette exposition. Le Palais Jacques Cœur n’est pas un musée neutre : c’est un espace chargé de mémoire, de volumes complexes, de recoins et de perspectives inattendues. L’accrochage, discret et précis, laisse la sculpture respirer dans l’architecture.

À chaque détour, la pierre semble entrer en résonance avec l’argile. Ce sont deux matières anciennes qui se parlent. L’une construite, l’autre modelée. L’une dressée pour durer, l’autre façonnée pour exister dans sa fragilité. Ensemble, elles racontent une histoire que le visiteur complète avec son propre regard.

L’initiative de créer un pont entre la modernité expressive de Ferré et l’héritage gothique du palais est audacieuse. Elle offre une lecture contemporaine du monument, en nourrissant une circulation d’époques et de traditions artistiques. L’exposition relève ainsi à la fois de la mise en valeur patrimoniale et de l’ouverture à la création vivante.

Cette exposition est une occasion rare de réconcilier passé et contemporain, matière brute et intériorité, silence plastique et effervescence sensible. Elle s’inscrit dans une réflexion plus large sur le rôle de l’art en tant que moteur de contemplation, capable de faire résonner notre condition humaine à travers des formes matérielles simples mais habitées.

Fanny Ferré, artiste liée depuis vingt ans à la Galerie Capazza, illustre, à travers cette exposition dans un monument national, la vitalité durable de la céramique et de la sculpture figurative dans l’art contemporain français.

Au cœur du Vivant est une exposition qui charme, intrigue et invite à l’introspection. Au sein de la majesté gothique du Palais Jacques Cœur, les sculptures de Fanny Ferré émergent comme autant de sentinelles silencieuses, témoins d’un monde en quête de sens, de poésie, d’équilibre.

Véronique Spahis

Du 25 mai au 5 octobre 2025

Palais Jacques Cœur, 10bis rue Jacques Cœur, 18 000 Bourges

ouvert de 10h à 18h15 (jusqu’au 31 août) – Du 1er septembre au 5 octobre de 10h à 12h15 et de 14h à 17h45 – Dernier accès 45 minutes avant la fermeture.  

https://www.palais-jacques-coeur.fr/

https://www.galerie-capazza.com/fr/