Il y a des héros qui sauvent le monde, et d’autres qui le ralentissent. Gaston Lagaffe appartient à la seconde catégorie, celle des rêveurs, qui rappellent à l’humanité qu’il n’y a pas d’urgence à vivre. L’ouvrage Gaston, employé du siècle, paru aux éditions de La Martinière, signéRodolphe Massé, rend hommage à ce personnage inclassable, anti-héros de génie né sous le crayon du dessinateur belge André Franquin. Un beau livre à la fois documenté, tendre et drôle, qui redonne à Gaston toute sa place : celle d’un poète du bureau, d’un artisan du ralentissement.

« Gaston représente ma flemme », disait Franquin, résumant bien l’essence du personnage. Né en 1957 dans le magazine Spirou, au beau milieu des Trente Glorieuses, Gaston débarque dans un monde dévoué au progrès, à la performance, à la rentabilité et refuse, tout simplement, d’entrer dans la course. Avec ses inventions absurdes, ses siestes impromptues et son amour immodéré pour les animaux, Gaston Lagaffe devient le miroir déformant d’une société pressée. Il rit de l’obsession du rendement, détourne les objets du quotidien, et transforme le chaos en art de vivre. Derrière son flegme mythique se cache une véritable philosophie de vie : celle du slow working, avec une longueur d’avance sur son temps.
Rodolphe Massé explore le monde de Gaston à travers une sélection de planches et de dessins préparatoires, qu’il organise par thèmes, avec une touche d’humour toujours très juste, du « téléphone » à « être et rester soi-même » en passant par « Dormir au bureau. Pour mieux gérer son énergie ». Dans cet univers, nous retrouvons la fameuse rédaction où travaille Gaston, les colères de Prunelle, les soupirs de Fantasio. Mais surtout, nous découvrons l’esprit d’André Franquin, Gaston étant présenté comme l’enfant intérieur de son créateur, un personnage qui prend le monde pour un grand terrain de jeu. Chez Franquin, tout est mouvement, invention, fantaisie. « La vie déteste qu’on la prenne trop au sérieux », semble murmurer Gaston à chaque planche, pour reprendre les termes de Massé. Et c’est sans doute là le plus grand message du livre : un appel à réapprendre la légèreté.
Soixante-dix ans après sa naissance, Gaston n’a rien perdu de sa modernité. Dans un monde saturé d’écrans, d’urgences et de réunions, il apparaît comme un prophète de la lenteur. Anti-productif, écolo avant l’heure, allergique à l’autorité, il incarne tout ce que notre époque réclame aujourd’hui. Véritable contrepoint poétique au capitalisme ambiant, l’âme de Gaston est un rappel bienvenu qu’on peut exister sans performer.
Le livre se referme sur une interview du dessinateur québécois Delaf, successeur de Franquin. Il y confie un secret : un nouvel épisode de Gaston Lagaffe paraîtra l’an prochain. Preuve que le gaffeur le plus célèbre de la bande dessinée n’a pas fini de faire parler de lui.
Julie Goy
Gaston, employé du siècle de Rodolphe Massé
Éditions de la Martinière – En librairie depuis le 17 octobre – 26,50€ – 144 pages
