Entretien réalisé à l’occasion de la présentation de ses œuvres récentes sur le stand de Véronique Smagghe à Moderne Art Fair à Paris du 22 au 26 octobre 2025
C’est dans l’atelier lumineux de Noël Pasquier que nous rencontrons un peintre dont la démarche artistique s’inscrit dans une quête profonde de sens et d’authenticité. Né en 1941, Pasquier vit et travaille entre Paris et la Bretagne, cette terre qui nourrit son imaginaire et irrigue son œuvre d’une force élémentaire.

Le bleu, couleur fondamentale
Comment parler de Pasquier sans évoquer ses bleus, ces bleus qui sont devenus sa signature ? « Il y a du soleil dans le bleu. Un souffle d’iode qui vient de l’océan. Du blanc écume. De l’énergie », écrit Danièle Attali. Car le bleu de Pasquier n’est pas un bleu uniforme, académique. C’est un bleu qui vibre, qui palpite, qui porte en lui toute la mémoire des éléments naturels.
Pierre Restany l’a magnifiquement exprimé : « L’imagination de Pasquier est fondamentale et essentielle, elle se réfère aux éléments naturels – à la mer, au ciel, à l’eau, de la Bretagne en particulier – mais aussi à la vitalité de la terre, et à sa puissance d’action, aux rêveries de l’immensité comme aux rêveries de la volonté… »
Il y a dans ses nuances de bleus – bleu pâle, bleu ciel moyen, bleu violet, turquoise foncé – toute une cosmogonie marine, un camaïeu que l’on pourrait appeler « bleu-Noël », avec cette dominante outremer qui évoque l’« outre-mer », le lointain, l’infini. Le bleu y est à la fois calme et mouvement, apaisement et énergie. C’est le bleu de la liberté, celui qui ouvre l’espace du rêve et de la contemplation.



La mer, matrice de l’œuvre
La Bretagne n’est pas pour Pasquier un simple décor. Installé dans le Finistère depuis 1965, il y a trouvé son territoire d’élection, cette rencontre entre la terre et l’eau qui devient dans ses toiles le lieu de toutes les métamorphoses. Ses paysages ne cherchent pas à copier ou à mimer la réalité côtière – « Il ne s’agit pas pour lui de copier ou de mimer, mais de communier avec des frémissements, des mouvements, des énergies, d’offrir en partage toute l’alchimie intime et bouillonnantes des forces de l’univers », comme l’explique un de ses exégètes.
Dans ses compositions, on retrouve cette dialectique permanente entre l’eau et le feu, le calme et la tempête. Pasquier travaille la tension et les fulgurances marines, leurs rythmes et leurs effusions. Il traduit « le drame de l’univers, ses élans qui se fécondent de toutes les situations ambivalentes ou duelles, du devenir en ses contradictions ».
Ses œuvres sur la mer – qu’il s’agisse de peintures, d’empreintes au goudron, ou de ses célèbres tapisseries – portent cette mémoire des laves volcaniques qu’il avait travaillées pour le Théâtre du Quartz à Brest en 1970. La lave a été détruite, mais Pasquier en a fait jaillir des eaux calmes, transformant la corruption en métamorphose, la mort en renaissance.
L’art du sensible
« Le geste de Pasquier, c’est la signature de son amour de la vie », affirme Pierre Restany. Et c’est peut-être là le cœur de sa démarche : cette capacité à faire du sensible la matière première de son art. Pasquier peint avec ses nerfs, avec cette gestualité rapide et nerveuse où se mêlent « antagonismes et connivences, celle du clair et de l’obscur, le proche et le lointain, l’extérieur et l’intérieur ».
Il oppose avec virtuosité l’énergie de ses traits, de ses lignes, à l’atmosphère de quiétude et de fraîcheur de l’œuvre. Ses couleurs froides – les différents bleus qui donnent ce sentiment de calme, d’apaisement, d’infini et de rêve – dialoguent avec les couleurs chaudes : l’orange qui apporte vitalité et tonus, le vert qui renforce la fraîcheur, l’or qui rayonne comme le règne de la lumière et du soleil.
Jean-Luc Chalumeau écrit avec justesse : « Parce qu’elle s’inscrit dans l’universalité, l’œuvre de Noël Pasquier a le pouvoir de parler à chacun. A nous maintenant de la voir et de l’entendre ». Car ce qui frappe dans les toiles de Pasquier, c’est cette immédiateté de l’émotion, ce pouvoir qu’elles ont de nous toucher avant toute analyse intellectuelle.
Une abstraction lyrique et structurée
L’œuvre de Pasquier se situe entre abstraction et lyrisme, dans cette zone où l’artiste laisse libre cours à l’expression personnelle de ses sentiments tout en maintenant une rigueur formelle. Il cultive ce que l’on pourrait appeler un « paysagisme abstrait » – une abstraction libre mais parfaitement structurée, dans le mouvement même de la nature.
On retrouve dans son travail l’influence de l’art informel, ce refus de la figuration sans pour autant abolir toutes références à la réalité. Ses libertés gestuelles s’expriment en référence à la mer de Bretagne, au ciel, à l’eau, aux rêveries… Il représente la réalité extérieure mais d’une manière abstraite, synthèse du figuratif et de l’abstrait, tout en restant l’expression de rythmes naturels.
Harry Bellet, dans Le Monde, résume : « Noël Pasquier est l’auteur d’une œuvre discrète, mais profonde et protéiforme. Sculptures et peintures oscillent avec bonheur de la figure à l’abstraction. »


De l’œuvre monumentale à l’intime
De l’œuvre monumentale au petit format, Pasquier explore tous les médiums : toile, textile, papier, bronze, marbre, céramique, verre, bois… Il a créé des sculptures murales en marbre de Carrare pour la Tour Montparnasse (devenues « Trésor national » et transmises au Musée de Cambrai), des fresques de 4000 m² à Suresnes, un mural de 160 m² à la gare TGV de Rennes, des sculptures monumentales pour les autoroutes du Sud de la France.
Mais c’est peut-être dans ses formats plus intimes – ses lithographies, ses empreintes au goudron sur papier – que se révèle le mieux cette « cosmogonie qui s’ouvre au rêve » dont parle Marcelin Pleynet. Ces œuvres nous invitent à une « dialectique sensuelle de ses eaux vives », nous entraînent « dans la dialectique sensuelle » de couleurs qui « nous troublent, qui nous ramènent aux eaux lustrales des origines et aux faluns des rêves ».
Le partage et la transmission
Au-delà de sa pratique picturale, Pasquier a toujours eu le souci du partage et de la transmission. Fondateur du Festival d’Art Total (1967-1970), il a exploré la liaison des arts à travers de nombreuses performances pluridisciplinaires – notamment avec la chorégraphe Carolyn Carlson – mêlant peinture, danse, lecture et musique, comme lors du « Printemps des poètes » au Centre Pompidou.
Il a animé des ateliers d’art plastique avec les enfants malades de l’Hôpital Robert-Debré à Paris, convaincu que l’art doit sortir des cercles restreints pour toucher un public plus large. Cette volonté de « désintimider les yeux », de « sortir de la grisaille si souvent sans relief du quotidien », pour « s’enflammer et se perdre dans les couleurs essentielles qu’il offre », guide toute sa démarche.
Une reconnaissance internationale
Licencié en Histoire de l’Art, diplômé de l’ENSAD (Arts Décoratifs de Paris) et de l’ENSBA (Beaux-Arts de Paris), Pasquier est chevalier dans l’ordre national des Arts et des Lettres. Il a exposé régulièrement à New York, Londres, Tel-Aviv, São Paolo, Budapest, Beyrouth, Shanghai, Tokyo, Singapour, ainsi qu’en Allemagne, en Italie et en Suisse.
Le Musée National de la Marine à Paris (1995), l’Hôtel de la Monnaie de Paris (1998-1999) et le Musée de La Poste (2003) lui ont consacré d’importantes rétrospectives. Son œuvre gravé est déposé à la BNF de Paris et à la Public Library de New York.
Michel Tournier confie : « Pasquier, j’apprécie la dominante bleue – qui est ma couleur – et la subtile architecture de ses compositions. La valeur de cette œuvre est éclatante. Je l’admire. »
À travers son travail, Pasquier nous invite à un voyage intérieur, à une pause contemplative dans un monde souvent trop pressé. Ses toiles sont autant de fenêtres ouvertes sur des espaces de silence et de beauté, où chacun peut venir puiser inspiration et réconfort. Comme l’écrivait Matisse – et Pasquier aime cette citation – « Il y a des fleurs partout où l’on veut bien en voir ».
C’est là toute la force de son art : savoir créer des œuvres qui, par-delà leur apparente simplicité, recèlent une complexité émotionnelle et une générosité qui touchent profondément celui qui prend le temps de les regarder vraiment.
Florent Rigollet
Prochaine exposition : Abstraction océan : Fin des terres, début d’éther.

du 13 novembre au 20 décembre 2025
Galerie Les Montparnos, 5, rue Stanislas 75006 Paris – 06 33 38 95 25
https://www.pasquier.pro/2025/10/abstraction-ocean-fin-des-terres-debut-d-ether.html
