Musée Paul Valéry : Daniel Dezeuze « Œuvres récentes » (2000-2025)

Le parcours que consacre le musée Paul Valéry à Daniel Dezeuze confirme l’appétit de liberté d’un artiste qui ne cesse de déplacer le terrain de la peinture. « Vive l’abstraction libre ! », lance-t-il comme un mot d’ordre. Le visiteur retrouve cette énergie dans les séries les plus récentes, où l’expérimentation technique se mêle à un humour discret et à une curiosité anthropologique qui traverse toute son œuvre.

La série Peinture qui perle (2006) concentre cette manière de faire vaciller le tableau. Les gouttes ne sont plus des touches mais des perles qui jaillissent hors de la surface, posant la peinture dans un entre-deux : ni tout à fait image, ni tout à fait objet. Ces cabochons colorés, parfois installés sur des structures en pointe, évoquent une fantaisie joyeuse, presque enfantine, qui détourne les codes modernistes et les renvoie vers la sculpture domestique. L’ensemble joue avec la lumière, déjoue le regard, déstabilise l’idée même de planéité.

Plus loin, Bouche d’ombre (2019) accroche l’attention. Il suffit de quelques secondes pour que la composition abstraite laisse affleurer un visage. Le titre agit comme un signal discret : l’œil commence à déceler des contours, une bouche, une présence. Ce glissement du signe à la figure se fait sans appuyer, dans une zone de trouble où Daniel Dezeuze semble s’autoriser une connivence furtive avec la figuration.

Les Tableaux-valises déclenchent un sourire immédiat. Ces structures évidées, peintes sur résille d’aluminium, oscillent entre ready-made, jeu de mots et réflexion sur le châssis. Elles font penser à des bagages ajourés, trop légers pour voyager mais parfaits pour transporter une idée de peinture. Chaque valise semble ouverte sur une autre destination, comme si l’artiste s’amusait à détourner l’objet-travail pour en faire un objet-métaphore.

La série Maya, quant à elle, déploie un chromatisme dense : verts profonds, éclats bleus, nuances qui rappellent la jungle et la lumière. L’artiste y pose souvent pour les photographies, comme s’il revendiquait ce lien ancien avec le Mexique, où il séjourna dans les années 1960. Ces assemblages de tasseaux et crémaillères donnent l’impression d’un relief respirant, fait de bosses, de creux et de passages, comme un paysage mental où affleurent mémoire et émotion.

L’étonnement reprend devant La Sainte Victoire (2021), composée… de trois planches de ski. L’effet est volontairement décalé : une montagne revisitée par des matériaux de sport d’hiver, une calligraphie élancée qui cite Cézanne tout en s’en éloignant radicalement. De ces silhouettes vernies surgit un geste vif, à la lisière du dessin dans l’espace. La référence se devine, mais l’œuvre reste d’abord une construction, une réflexion sur la ligne, la verticalité et le vide.

Au rez-de-chaussée, deux œuvres figuratives de Georges Dezeuze, le père, rappellent l’origine territoriale. Parmi elles, une nature morte remarquable, précise et sereine, qui éclaire en filigrane le chemin pris par Daniel Dezeuze : un héritage respecté, mais aussitôt dévié pour mieux tracer sa propre route.

Antonella Eco

du 29 novembre au 8 mars 2026

Musée Paul Valéry, 148, rue François Desnoyer 34200 Sète
Ouvert du mardi au dimanche, 10h–18h. Fermé le lundi – Visites commentées les mercredis et samedis à 16h
https://museepaulvalery-sete.fr/