Il y a des expositions dont on ressort avec l’impression d’avoir légèrement changé de point de vue sur le monde. Celle consacrée à Escher à la Monnaie de Paris fait partie de ces rares expériences où l’on ne se contente pas de regarder des œuvres : on se surprend à douter de ce que l’on voit, puis de la façon dont on regarde.

Réalisée par Arthemisia et Fever – en collaboration avec la M.C. Escher Foundation et Maurits – et placée sous la direction de Jean-Hubert Martin et Federico Giudiceandrea, deux des plus grands experts de l’artiste, l’exposition plonge les visiteurs dans l’univers imaginaire et étonnant de ce génie néerlandais. Né en 1898 à Leeuwarden, aux Pays-Bas, M.C. Escher a su conjuguer art et mathématiques dans un langage unique, capable de défier la perception visuelle et de fasciner des générations entières.

Un artiste qu’on croit connaître… avant de le rencontrer
On vient souvent à Escher avec des images en tête, la plupart si connues qu’elles sont devenues presque des emblèmes de la culture visuelle du XXᵉ siècle. Mais les voir en vrai, à l’échelle de la main qui les a gravées, change tout.
Les noirs y sont plus profonds, les transitions plus subtiles, la patience de l’artiste presque palpable. Je me suis surpris à rester longtemps devant des œuvres que j’avais toujours vues comme “simples illusions”. En réalité, elles respirent la fragilité, un mélange de rigueur et de poésie qu’aucune reproduction n’égale.
La force de cette exposition tient aussi à ce qu’elle ne cherche pas tant à décortiquer Escher qu’à nous rendre sensibles à sa logique interne. Le parcours joue sur de fines déstabilisations : salles qui s’ouvrent, motifs qui se prolongent hors cadre, installations discrètes mais efficaces qui rappellent que notre œil est facilement trompé.
On suit Escher non comme un théoricien de la perception, mais comme un artisan obsédé par l’idée de franchir les limites du réel — doucement, méthodiquement, presque avec malice.
Un parcours riche et immersif
Le visiteur découvre un ensemble très complet de gravures, lithographies, dessins préparatoires et études, permettant de suivre l’évolution d’Escher depuis ses premiers paysages italiens jusqu’à ses architectures paradoxales les plus célèbres. Le parcours est conçu en séquences thématiques : illusions de perspective, mondes impossibles, réflexions et miroirs, transformations et pavages.
Cette structure invite non seulement à comprendre l’ingéniosité technique d’Escher, mais aussi à percevoir comment son travail se nourrit d’intuition mathématique et de curiosité quasi scientifique.


Les pièces emblématiques sont bien sûr au rendez-vous : Relativity et ses escaliers défiant la gravité, Hand with Reflecting Sphere qui immerge le spectateur dans un autoportrait sphérique, ou encore les grandes Metamorphosis, où un motif géométrique se transforme lentement pour devenir paysage, puis autre chose encore. Plusieurs dessins préparatoires permettent également de pénétrer dans la méthode minutieuse de l’artiste.












L’exposition prend soin d’expliquer, sans lourdeur, la dimension mathématique du travail d’Escher : symétries, pavages, formes infinies, rubans de Möbius. Loin de réduire ses œuvres à des démonstrations techniques, cette mise en perspective révèle à quel point Escher travaillait à la frontière du rêve et de la logique, utilisant l’outil scientifique pour mieux déstabiliser la perception.



La sensation d’un monde en équilibre fragile
Ce qui m’a le plus frappé, c’est la tension permanente dans laquelle ses œuvres placent le spectateur.
Tout semble structuré, calculé, parfaitement agencé… et pourtant l’ensemble menace de basculer d’un instant à l’autre.
C’est un étrange sentiment : Escher n’impose pas son illusion, il nous laisse nous y perdre volontairement. Une invitation à lâcher prise, en quelque sorte, tout en gardant la conscience aiguë du dessin, de la technique, du geste.
Ce qui reste après la visite, c’est une forme de joie intellectuelle, vive et légère. Escher nous rappelle que l’imagination peut être précise, presque scientifique, sans jamais perdre son pouvoir d’émerveillement.
On ressort avec la sensation d’avoir visité une architecture intérieure, faite de symétries, de glissements et de retournements — un monde où l’on circule comme dans un rêve dont on n’est jamais tout à fait sûr.
D’ailleurs, est-ce bien Escher qui m’a dessiné ?

Bien que mondialement connu, Escher n’avait encore jamais bénéficié d’une grande rétrospective parisienne. Cette exposition constitue donc une occasion unique d’explorer en profondeur un travail qui continue d’influencer artistes, architectes, mathématiciens et créateurs d’effets spéciaux.
La Monnaie de Paris accompagne l’événement d’un catalogue riche, ainsi que de visites et ateliers destinés à tous les publics, de l’amateur d’estampe au jeune curieux intrigué par les illusions.
Véronique Spahis
du 15 novembre 2025 au 1ᵉʳ mars 2026
Monnaie de Paris, 11 quai de Conti, 75006 Paris
de 10 h à 20 h, du mardi au dimanche – Les mercredis jusqu’à 21 h. Exposition pour tout public
Il est prudent de réserver : https://www.monnaiedeparis.fr/fr
