Passer derrière Charles Dickens n’est pas chose aisée. Surtout lorsque l’on a la volonté d’actualiser un texte pour parler à tous. La Compagnie du Loup Gris parvient néanmoins à relever le défi. Dans ce Noël de Monsieur Scrooge, A Christmas Carol est actualisé sans être dépecé. Une franche réussite tout à la fois théâtrale et musicale, jusqu’au 25 janvier 2026 à la Scène Parisienne.

Détester Noël, sensé ? L’idée n’irait pas effleurer l’esprit d’un enfant. Mais dans les contreforts d’une pensée étriquée d’un financier atteint d’avarice, Noël peut bien vite être conspué. Monsieur Scrooge (Philippe Codin) ne veut ainsi pas entendre parler de cette fête. « Perte de temps » ; perte d’argent.
Une rationalité implacable, qui mine le quotidien des petites gens qui gravitent autour du financier. A commencer par son apprenti, interprété par Charles Derondel, qui peine à subvenir à ses besoins en ces durs mois hivernaux.
Tapis blanc sur la scène, la troupe de cinq comédiens pose le décor dans un clair-obscur maîtrisé. Le jeu des couleurs dans cette période d’attente, celle de « l’Avent » Noël, fait d’incertitudes, de doutes, de révélations comme de déceptions, est renforcé par l’accompagnement musical, au piano, de Sébastien Menard.
Fondée en 2019 par Ophélie Charpentier, ici à la mise en scène, la Compagnie du Loup Gris joue une partition mélodieuse et enjouée. La farandole des personnages s’active pour proposer une relecture du conte fameux de Charles Dickens.
Dans un doux et réconfortant mélange de théâtre et de chant, les acteurs font montre d’une palette impressionnante. Les gammes s’enchaînent ; les comédiens se présentent comme mélomanes et très certainement peu monogames. Apparitions magiques et songes réveillent la conscience de Monsieur Scrooge et éveillent par là même notre regard sur la beauté intemporelle de cette histoire.
Réactualisation subliminale, résolution totale
Engagée dans une pratique du théâtre que l’on pourrait qualifier d’« inclusive », Ophélie Charpentier et sa troupe appuient sur leur volonté de présenter une création actuelle, davantage « féminisée » mais également laïcisée pour « s’adresser à tous ». Ainsi, toutes connotations religieuses ont été enlevées de l’œuvre pour se concentrer sur l’aspect « familial », perçu comme plus fédérateur de nos jours.
La démarche questionne et l’on pourrait légitimement appréhender le résultat. Pourtant, cette réactualisation ne rime pas avec aseptisation ou trahison de la matière originelle. Ophélie Charpentier et sa bande parviennent à conserver la substantifique moelle de l’œuvre grâce à la poésie et au beau.
Trop souvent, la réécriture gomme le souffle poétique intrinsèque de l’œuvre originale censée inspirer et non être aspirée. Ici, le décor, ce Londres du XIXe reste ; les costumes sont également conservés, tandis que le langage utilisé reste exigeant alors même que la pièce s’adresse à un public dès 6 ans. On ne peut être que séduit par cette nouvelle représentation de Scrooge qui évite les écueils contemporains et continue de porter dans sa vision scénique, une haute estime du théâtre.
Et ce travail d’actualisation sans dénaturation sert également l’œuvre. Éminemment politique, Charles Dickens souhaitait en son temps souligner les grandes disparités économiques qui déchiraient la société anglaise de l’époque, minée par ailleurs par une déconsidération des classes sociales défavorisées. A Noël, moment magique de recueillement et d’émerveillement, la morale religieuse sur le fait d’« aimer son prochain » était toute trouvée.
Aujourd’hui, sans piété mais toujours avec ferveur, L’étonnant Noël de Monsieur Scrooge délivre son message. On retrouve alors en chacun de nous notre âme d’enfant. La naïveté en moins, on finit tous par apprécier Noël. Du moins à y trouver un sens.
Gabriel Moser.
Jusqu’au 25 janvier 2026. Les mercredis et samedis à 16h30. Dimanche à 15h30. Tlj pendant les vacances de Noël, 16h30.
La Scène Parisienne, 34 rue Richer, 75009 Paris.
