A Milly-la-Forêt, la Maison Jean Cocteau s’agrandit

« A Milly, j’ai trouvé la chose la plus rare au monde, un cadre ». Plus belle phrase ne résume sans doute pas cette petite bourgade perdue au sud de Paris, au cœur de la chatoyante nature de l’Essonne. C’est en 1947, à Milly-la-Forêt donc, que Jean Cocteau pose ses valises dans cette maison médiévale, dépendance d’un ancien château. Dans ce lieu, l’on se replonge dans toute la carrière de l’artiste aux réalisations nombreuses et diverses, mais aussi dans les personnes qui ont eu une importance pour lui, notamment Jean Marais à qui un nouvel étage est désormais dédié.

La vie de Cocteau est émaillée de deux coups de foudre : Jean Marais et Milly-la-Forêt. L’artiste rencontre le jeune homme qui n’était encore qu’un simple figurant en 1937. Très vite, il le prend sous son aile. Il est pour lui comme un père, façonnant son éducation et son jeu. « Est-ce beaucoup exagérer que de dire que Jean Cocteau fut mon véritable père en ce qu’il me créa ? » se questionne Jean Marais dans son livre L’inconcevable Jean Cocteau.

Tout est dans le titre : Jean Cocteau est inconcevable ; son œuvre est indéfinissable car multiple et si diverse. Connu par le grand public pour son cinéma, là où excellera Jean Marais, on lui doit certaines grandes réinterprétations de classiques, notamment Orphée (1950).

Toute sa filmographie reprend les grands textes classiques, les grands personnages antiques et a eu une grande résonance dans la France des années 40-50. Non sans essuyer certaines critiques pour autant. Jean Cocteau était ainsi détesté par les surréalistes. Son caractère de brillant « touche-à-tout » a déplu à certains, tout comme sa fascination pour l’antique dans ses œuvres, au cinéma comme dans ses écrits.

Sanctuarisation, révolution

L’auteur de Rappel à l’ordre (1926) est en effet attaché à la défense d’un classicisme vivant, un certain ordre dans lequel les différentes sensibilités peuvent s’exprimer. Cocteau aspire à une certaine « discipline de la liberté ». Tout l’inverse des surréalistes qui souhaitent une véritable révolution. Ainsi, dans la Révolution surréaliste, journal paru en France entre 1924 et 1929, Aragon déclarait : « D’abord, nous ruinerons cette civilisation qui vous est chère ».

Le désir des ruines contre celui de l’édification d’un passé glorieux ; un « Retour à l’ordre » comme est désormais appelé ce mouvement dans l’Histoire, contre une poussée vers l’inconnu.

En s’intéressant au cheminement de Cocteau, l’on comprend mieux ce qui a pu plaire à l’auteur dans cette belle demeure de Milly-la-Forêt ; le calme de la campagne, sans être trop loin de la capitale pour autant, mais aussi une certaine authenticité, un « cadre » propice à une vie paisible faite de réflexions et de créations. Un lieu apaisé pour une œuvre qui se nourrit des grands récits du passé.

Les Deux Jean

Notons néanmoins que ce calme tranche avec la pratique qu’avait Cocteau de se droguer à l’opium, une obligation pour lui afin de créer.

Jean Marais ne tentera jamais de l’en empêcher. Son fidèle, son confident, son amant aussi, sera pourtant un partenaire proche, notamment lors de l’installation de Cocteau à Milly. La Maison des Illustres qu’est devenue aujourd’hui ce lieu, se devait donc de rendre hommage à cette liaison qui s’est notamment déroulée en ces murs.

Ainsi, au deuxième étage, un tout nouvel espace accueille Marais, l’autre Jean. Grâce à une scénographie originale qui a su composer avec un espace réduit, l’on découvre une sélection d’images ainsi que de reportages filmés de l’époque où l’on voit Cocteau et Marais ; ensemble, ou bien seuls, l’un parlant de l’autre.



Sur les murs, plusieurs photographies témoignent de leur collaboration. Notons ce cliché de Robert Doisneau, pris en 1949, sans doute lors d’un tournage. Un autre cliché de Luc Fournol montre également Cocteau, en pleine séance de travail au cœur de sa maison.

En effet, Milly n’a pas été qu’une simple demeure de villégiature pour l’artiste. A l’aise partout pour travailler, il pouvait tout aussi bien profiter de son somptueux salon donnant sur le parc, comme se retirer dans ses appartements privés au premier pour créer.

Mariages décoratifs

La Maison, lors de son ouverture au public en 2010, a réussi à conserver certains objets – le reste ayant été emporté par la famille. L’on découvre ainsi dans le salon une décoration typique signée Madeleine Castaing. Un mélange de genres affirmés est proposé, oscillant entre le mobilier classique comme le bureau, ou bien des objets plus insolites, comme ce soleil, cadeau de Coco Chanel pour le maître des lieux.



A l’étage, dans la chambre, le mélange des influences est encore plus insistant avec une tapisserie léopard sur les murs, mariée avec des rideaux à fleurs épais. Sur la tablette de la cheminée, des objets de ses parents. L’on distingue notamment le pied de Philippidès : des références à l’Antiquité, la période la plus évocatrice pour l’artiste.

Un musée vivant

« On a accueilli 10 000 visiteurs l’an dernier », souligne une médiatrice du musée. Dans une région quelque peu enclavée, happée par le flot parisien, la Maison Jean Cocteau apparaît comme un lieu de fort intérêt patrimonial et culturel qui permet de rentrer dans l’intimité de l’œuvre du français.

Artiste aux multiples cordes à son arc, c’est au travers de son rapport à la musique que la Maison a souhaité, spécialement, faire vivre la mémoire de Cocteau, présentant depuis l’an dernier une exposition au sein du parcours permanent, Prenez garde à la musique. Cette dernière, qui s’inspire d’une réflexion de Cocteau pour son titre, retrace la relation que ce dernier a entretenu avec les musiciens du Groupe des Six. Aux côtés d’Erik Satie, Cocteau fut une des grandes influences de cette troupe.

Parmi les membres de cette dernière, l’on retrouve notamment le fidèle compagnon de Cocteau, George Auric, auquel il confie la tâche de réaliser son « cinéma sonore ». Chaque œuvre cinématographique de Cocteau est en effet accompagnée d’une atmosphère, d’une ambiance qui passe notamment par de douces notes mélodiques. Précurseur dans l’utilisation de la musique en ce sens, l’exposition présente le réalisateur français comme l’inventeur de la musique de film.

En plus de ce parcours dévoilant une facette plus méconnue de l’artiste et de son influence, la Maison Jean Cocteau a décidé de relancer pour une deuxième année de suite, sa proposition de festival, Les samedis musicaux chez Jean Cocteau.

Comme l’an dernier pendant les mois d’été, de juin à août, une programmation riche et diversifiée attend les visiteurs ; une occasion rêvée d’apprécier cette maison d’une autre manière et de réenchanter ce lieu, au cœur de ses jardins. Au programme notamment, le Groupe des Six et l’Espagne, un récital de guitare de Jean-Marc Zvellenreuther qui promet de faire danser Milly.

Le cadre artistique déniché par Cocteau semble donc continuer de battre ; planent sans doute au-dessus de cette maison toutes les créatures de son imaginaire.

Enterré non loin, dans la chapelle de Sainte-Blaise-des-Simples de Milly, on peut lire une épitaphe : « Je reste à vous ». A nous donc de pousser les portes de sa demeure pour profiter encore de sa présence.

Gabriel Moser

Maison Jean Cocteau, 15 rue du Lau, 91490 Milly-la-Forêt

Ouvert de mai à octobre (toute l’année pour les groupes), du jeudi au dimanche de 11h00 à 17h00.

Toutes les visites sont guidées. Horaires fixes toutes les demi-heures.