Quoi de commun entre un jeune militant communiste et le fils d’un riche industriel genevois ? Rien, absolument rien. Ces deux figures évoluent au sein d’univers socialement incompatibles séparés par une frontière hermétique ; la probabilité qu’elles viennent à se rencontrer paraît faible. Certes, mais le propre du roman n’est-il pas d’explorer l’improbable ? Alain Schmoll a tenté l’expérience ; c’est La Tentation de la vague.
Romain veut changer le monde. Militant communiste parti se former à Cuba, il dirige aujourd’hui son propre mouvement, Émancipation révolutionnaire. Son ambition serait d’en faire un acteur majeur dans le paysage politique de la gauche française. Il voudrait susciter ue puissante vague de soulèvements, une vague qui détruirait les structures actuelles pour laisser place à un monde purifié. La vie de Romain se résume en deux mots : le militantisme, et Julia. Julia, cette fille au regard troublant, sa compagne de toujours sans laquelle rien n’aurait pour lui de sens. Leur amour, il en est certain, lui donnera la force d’affronter cette vague destructrice qu’il appelle et craint tout à la fois. Mais Romain n’avait pas prévu qu’un élément perturbateur dénommé Greg vienne fissurer la digue en contestant son autorité au sein du mouvement activiste tout en essayant de lui ravir sa Julia.
Werner lutte, lui aussi, contre les éléments. Mais c’est bien la seule chose qui l’unisse à Romain. Fils chéri d’un richissime couple genevois ayant fait fortune dans l’industrie fromagère, Werner refuse le destin qu’on a tracé pour lui : remplacer son père à la tête de l’entreprise familiale Joncquart. Non qu’une telle opportunité lui déplaise, mais il estime tout simplement que l’hérédité ne devrait pas régir le monde. Pourtant les circonstances ne lui laisseront bientôt plus le choix ; la santé de son père se dégrade et de nombreux vautours tournent autour du groupe Joncquart, à l’affût de la moindre faiblesse de sa part … Werner pressent avec angoisse qu’une vague immense se prépare et qu’alors il devra choisir entre sa liberté et ses responsabilités. Aura-t-il encore la force de résister aux courants qui l’emportent ?
Au début du roman, Werner et Romain évoluent séparément comme deux droites parallèles. Dans la réalité, deux droites parallèles ne se coupent jamais ; les histoires de Romain et Werner auraient sans doute suivi leur cours imperturbable. Mais la fiction romanesque peut faire mentir les lois de la géométrie ; les deux droites finiront par converger pour n’en former qu’une seule.
Alain Schmoll exploite avec habileté la métaphore de la vague, cette force naturelle que nous n’avons pas le pouvoir d’arrêter mais qui nous oblige à choisir : “on peut profiter du flux, résister, ou attendre que la vague soit passée”. La Tentation de la vague explore entre autres la problématique de la liberté face à ce qui ne dépend pas de nous : déterminismes sociaux et familiaux, contexte politique ou économique, comportement d’autrui, etc. Le roman comporte donc une dimension philosophique mais il n’en oublie pas pour autant la tension dramatique ; les derniers chapitres nous plongent dans une enquête haletante dont on est très loin de soupçonner l’issue.
Alain Schmoll adopte toutefois des solutions un peu trop faciles en éliminant opportunément tous les personnages gênants, pour terminer comme dans un conte de fée en faisant gagner les gentils et perdre les méchants. Cela renforce un sentiment déjà suscité par la structure même du roman : on nous présente une vision très simpliste du monde actuel.
La Tentation de la vague n’en reste pas moins un roman digne d’intérêt, autant par l’actualité des thèmes traités que par l’hypothèse qu’il propose audacieusement de tester. Si l’on parvenait à concilier deux milieux totalement exclusifs l’un de l’autre, combien de temps pourrait-on résister aux forces contraires qui s’exerceraient de part et d’autre sur nous ?
Savéria Costantini
La Tentation de la vague
Auteur : Alain Schmoll
Editions L’Harmattan – Collections Rue des Ecoles
Parution : janvier 2020