Aventures amoureuses chez Tekini
Indépendance (nom féminin) : caractère de quelqu’un qui ne se sent pas lié ou qui ne veut pas être soumis aux autres, à la discipline morale, aux habitudes sociales, etc. ; qualité d’un groupe, d’un pouvoir qui n’est pas soumis à un autre, qui est libre de toute sujétion.
Lorsqu’on interroge le public en matière artistique, la grande majorité ne cerne pas précisément ce que mot « indépendance » induit. La définition proposée par le Larousse nous met sur la voie. Après l’explosion du modèle économique et l’effondrement des ventes physiques de disques causés par la démocratisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, les artistes se trouvent contraints à inventer un nouveau schéma.
L’âpreté des rapports avec les majors, chez qui les postes de Directeur Artistique sont depuis longtemps trustés par des avocats en droit des affaires et des marketeux, les incita à reprendre leur liberté. Rapports qui n’ont eu de cesse de se déséquilibrer au plan financier mais aussi et surtout au plan artistique.
Ce n’est cependant pas la seule motivation qui a poussé Emmanuelle Monet et Patrick Giordano aka Matt Murdock à créer leur propre structure. Bien sûr l’abaissement des coûts de production d’un album, l’accès facilité à certains outils informatiques toujours plus performants les ont naturellement conduits vers le « faire soi-même ». Tekini Records s’apparente à un ilot de latitude totale. La priorité est donnée à l’envie de créer des œuvres singulières, à l’abri des contraintes et formatages dont une industrie frileuse et fainéante ne protège plus.
S’échappant totalement des formats traditionnels, du jeu idiot de la compétition artistique, le label nous propose non pas une, non pas deux, mais trois actualités de la meilleure facture. Tout d’abord l’ouvrage qualifié un peu rapidement de thriller psychologique, teinté d’un romantisme sombre aux accents mélancoliques, « Les amours anormales » de Noël Matteï. Après une parution classique en format papier, Tekini se lance sur le marché prometteur du livre audio offrant des possibilités plus larges, en ce sens que les mots du narrateur -ici le personnage central écorché par la perte prématurée de son jumeau et glissant peu à peu dans une folie aussi dangereuse pour son entourage que pour lui-même- comme celle des protagonistes, s’incarnent dans des voix. Notre imagination n’aura alors aucune peine à les figurer de chair et de sang, au plus près de l’émotion, flirtant avec une certaine portée sociétale autour des questions de la normalité et du genre.
Second objet tout aussi original -après un parcours de leader au sein du groupe Madinkà, une collaboration avec Dominik Nicolas en qualité d’auteur saluée par la critique et deux EP en solo- le premier album également signé Noël Matteï. « L’écho des liens enfuis », une galette électro aussi élégante que sensible qui n’est pas sans rappeler les plus belles heures d’une pop française à faire pâlir d’envie les meilleurs combos d’outre-manche, celles de Marquis de Sade, Trisomie 21 ou Daniel Darc. Noël y aborde les amours perdues et le besoin viscéral de poursuivre sa route hanté par les souvenirs et de blessures qu’il ne faudrait pas soigner au risque de s’assécher totalement.
Troisième actualité, et pas des moindres, celle d’un album surprise et surprenant « Entre deux eaux » de Manu. Emmanuelle Monet revisite son œuvre, celle tissée en tant que leader du groupe Dolly, fer de lance du rock harmonique français, puis dans quatre albums solo. Premier volume d’une série qu’on espère fructueuse, les titres phares ou plus confidentiels trouvent une nouvelle vie, se déploient en de nouveaux espaces au travers d’arrangements inédits autour de la harpe et du violoncelle. Christophe Saunière et Damien J. Jarry étant venus prêter main forte à Manu et Matt pour une perle mélodique qui tutoie avec bonheur la musique classique dans des envolées célestes sans perdre de cette force vivifiante caractéristique du « style emmanuellien ».
Tant de belles choses, comme le dirait Françoise Hardy, méritaient bien que Vents d’Orage reçoive ce trio de choc pour qu’ils nous content eux-mêmes leurs histoires si particulières :
Album de Manu : « Entre deux eaux – Volume 1 »
CD & Digital (Tekini Records/Absilone/Socadisc/Believe)
Album de Noël Matteï : « L’écho des liens enfuis »
Vinyle, CD & Digital (Tekini Records/Absilone/Socadisc/Believe)
Livre audio de Noël Matteï : « Les amours anormales »
Digital (Tekini Records/Velvet Audiobook/Hardigan)
David Fargier