Choisir de vivre
Le genre et le sexe restent deux notions – non pas diamétralement opposées – mais qui ne se recoupent pas totalement, pas nécessairement. Dur à accepter pour les partisans de la Manif pour tous qui n’ont de cesse de monter au créneau depuis l’engagement des discussions parlementaires sur le mariage gay. Leur angle de tir est-il pour autant le bon ? Rien n’est moins sûr, puisque le débat s’est très (trop) rapidement orienté vers des questions attachées à la morale et des considérations religieuses. Faut-il rappeler que la République a depuis longtemps décidé la séparation de l’Eglise et de l’Etat ?
N’en déplaise aux débatteurs, la psychologie et la philosophie ont elles aussi leur voix au chapitre. Chaque individu, dans un fonctionnement démocratique moderne, ne doit-il pas se voir garantir du droit le plus fondamental, celui de la liberté ? Il est de ces œuvres qui aident à faire le pas de côté, à retourner le prisme qui éblouit notre raison dans notre compréhension et étouffe notre cœur dans notre compassion. Choisir de vivre en fait partie. Un roman rageur et bouleversant, tout d’abord, qui conte le parcours d’une vie de souffrance. Une vie de questionnements, de culpabilité sourde, une vie à éprouver l’injustice d’être enfermé dans un corps qui n’est pas le bon. Condamné à la double peine du rejet familial et sociétal. Mathilde Daudet a attendu 60 ans avant de franchir le pas. Une décision qui ne se prend pas à la légère, pour toutes les raisons évoquées précédemment, mais une volonté de vivre, libre et le front haut, au risque de mourir à ne pas être celle que l’on est.
De cette histoire cruelle, Franck Berthier s’en est emparée, à bras le corps, signant une adaptation et une mise en scène à la hauteur des enjeux humanistes que le sujet requiert. En épargnant le spectateur, parfois enclin aux tentations voyeuristes, les considérations techniques et chirurgicales qui sont l’apanage des mauvais documentaires. Il dirige avec intelligence, ou plutôt il guide, une formidable comédienne vers la lumière, vers la lumière intérieure du personnage qu’elle incarne et qui aura raison de toutes les peurs. Ainsi Nathalie Mann joue-t-elle sur tous les registres pour nous bousculer, nous faire réagir. Tristesse, révolte, humour, tendresse… le spectre des émotions convoquées est vaste. Une scénographie aussi maline qu’épurée nous transporte vers les souvenirs d’un être écorché vif, contraint tant par son corps que par la culpabilité que d’autres se crurent autorisés à lui instiller.
Vents d’Orage a eu le privilège de rencontrer les trois principaux protagonistes de cette ambitieuse entreprise artistique. Mathilde, Franck et Nathalie, à deux pas du Studio Hébertot :
Le pitch : « Pendant 50 ans, moi, j’ai caché qui j’étais. La société, qui n’aime que la normalité, comprenez celle du plus grand nombre, m’imposa l’éducation qui va de pair avec mon genre. Elle a choisi pour moi, car la société doit savoir, pour nous classifier. Classée garçon par le sexe je devais être garçon par le genre. Viril, je l’ai été, mais derrière ce genre exacerbé, je protégeais cet autre « moi » qui continuait de grandir, habitée par l’espoir qu’un jour elle pourrait vivre à son tour.
Je partis donc vers l’opération, destination bonheur. Boules de billard électrique, nos vies sont souvent chaotiques. Nous descendons la pente vers une sortie inévitable, de rebond en rebond. Les plus chanceux héritent d’une boule supplémentaire. Ce fut mon cas : nouvelle vie, nouvelles règles. »
Choisir de vivre est un livre devenu pièce de théâtre, qui parle de souffrance et de détresse mais aussi d’amour et de joies, témoignages d’une victoire sur l’Interdit.
En détachant mon histoire de sa réalité écrite, en la faisant entrer dans le domaine de l’imaginaire, Franck Berthier l’a rendu universelle. Elle rentre ainsi dans l’histoire des différences qui font aussi la richesse de l’humanité.
Auteur : Mathilde Daudet
Adaptation et mise en scène: Franck Berthier
Avec : Nathalie Mann
Calendrier des représentations :
Les mardis et mercredis à 19 h, les dimanches à 19 h 30, jusqu’au 18 avril 2018
Studio Hébertot
78bis boulevard des Batignolles
75017 Paris
David Fargier – Vents d’Orage