Comment l’imaginaire médiéval continue-t-il d’inspirer les artistes contemporains ? Au musée de Cluny, les co-commissaires de l’exposition « Convoquer les chimères. Héritage médiéval dans l’art contemporain. » proposent un tête-à-tête entre art médiéval et contemporain. Les œuvres exposées témoignent de la persistance des images médiévales et de leur réappropriation par des artistes contemporains – assumant puiser davantage dans le fantasme que dans une véritable connaissance de cet art, aujourd’hui largement irrigué par la Pop culture.

Les deux co-commissaires, Rémi Enguehard (chargé de diffusion et de programmation hors les murs au FRAC Ile-de-France) et Michel Huynh (conservateur général au musée de Cluny), montrent combien l’ombre du Moyen-Âge continue de planer sur l’art contemporain. Cette exposition a été conçue en collaboration avec le FRAC Ile-de-France dans le cadre du programme « Berserk & Pyrrgia. Art contemporain et art médiéval », sous le commissariat général de Céline Poulin.
Exposer de l’art contemporain au musée de Cluny : une première ?
Dès la seconde moitié du XIXe siècle, le musée de Cluny commençait à collectionner des objets échappant à la stricte chronologie médiévale. Jusqu’aux années 1970, aucune avancée significative n’a été faite en ce sens. Dans les années 2000, certaines expositions pleinement médiévales ont néanmoins intégré des sujets rattachés à l’art contemporain.
Dans la nouvelle exposition « Convoquer les chimères. Héritage médiéval dans l’art contemporain. », une quinzaine d’œuvres contemporaines issues de la collection du FRAC Ile-de-France sont dispersées dans le parcours permanent du musée.
Le mot d’ordre est clair : il ne s’agit pas d’un prétexte pour exposer arbitrairement des oeuvres contemporaines, mais d’un choix rigoureux, tant des oeuvres que des artistes, parmi lesquels : Jacopo Belloni, Corentin Darré, Erik Dietman, Frederik Exner, Richard Fauguet, Alison Flora, Diego Giacometti, Youri Johnson, Lou le Forban, Marion Verboom, Xolo Cuintle.
Un Moyen-Âge fantasmé
En miroir des œuvres médiévales, ces univers artistiques contemporains puisent dans un passé réinventé, où l’inspiration moyenâgeuse est puissament fantasmée, notamment dans son influence de la Pop culture.
Le nom même du programme du FRAC Ile-de-France, évoque l’imaginaire médiéval-fantastique de la culture populaire. Berserk, manga culte de Kentaro Miura, est une œuvre de dark fantasy, connue pour son univers brutal, médiéval, sombre et tragique. Pyrrhia est le nom du continent fictif dans la série Les Royaumes de Feu de Tui T. Sutherland, une saga fantasy également nourrie d’esthétique médiévale.
Exploration de certaines « chimères » contemporaines de l’exposition :
Giombì (Drollery) de Jacopo Belloni (2023)
À travers cette statue, l’artiste suisse fait ressurgir le folklore médiéval, en représentant le motif antique de l’homme-feuillu, vêtu d’un costume d’entreprise.
Cette œuvre constitue à la fois une parodie de notre monde contemporain et une réinterprétation des motifs ornementaux de l’architecture médiévale.
Le Moyen-Âge est une période caractérisée par l’absence de cloisonnement entre le cartésien et le rationnel, où l’union du ciel et de la terre engendre de nombreuses représentations d’êtres hybrides dans l’iconographie.
Les jambes étirées du personnage rappellent les statues-colonnes visibles dans la salle ; proposant ainsi une synthèse formelle, investissant pleinement l’architecture tout en la questionnant.

Achronie 46 de Marion Verboom (2024)
Cette colonnade propose un système d’élévation reliant différentes époques et cultures. Les couleurs contemporaines de l’œuvre contrastent avec l’architecture qu’elle évoque.
Le titre nous signale une a-chronie, dérivée du grec chronos (le temps), qui peut être comprise comme une absence de temporalité ou un questionnement en dehors du cadre traditionnel temporel.
Marion Verboom fusionne ainsi passé et présent, explorant une conception non linéaire du temps, en révélant l’éclectisme et le syncrétisme permanents à l’œuvre dans l’histoire de l’art.

Sans titre (céramique) de Richard Fauguet (2009)
Cette œuvre illustre le travail de Richard Fauguet autour de la paléidolie, ce phénomène de perception par lequel l’œil humain reconnaît des formes familières dans des objets inanimés.
Les éléments qui composent la céramique ont été chinés dans des brocantes, puis assemblés, produisant volontairement un effet kitsch. Ainsi, une ancienne tasse ou une cruche délaissée trouvent leur place dans l’ensemble, donnant naissance à un objet désormais purement ornemental, affranchi de toute fonction utilitaire.
Ainsi pense-t-on, en observant la silhouette qui s’en dégage, aux objets zoomorphes de l’art médiéval.

Ceux qui ne dorment pas et qui gardent de Alison Flora (2023)
Alison Flora propose une œuvre puisant dans l’imaginaire et le gaure médiévaliste. Sa technique est d’une rare intimité : la peinture est faite de son propre sang.
Le château médiéval, les visages alertes sur la balustrade, la banderole à calligraphie gothique nous plongent dans les décors d’églises du Moyen-Âge, évoquant les rithes chrétiens qui s’y déroulaient. L’œuvre montre ainsi l’héritage de l’illustration fantastique et du fantasme médiéval.
L’exposition « Convoquer les chimères. Héritage médiéval dans l’art contemporain. » nous plonge dans un Moyen-Âge réinventé, dans lequel passé et fantasmes contemporains se rencontrent ; une invitation à redécouvrir le musée de Cluny sous un nouveau jour
Rendez-vous le 15 mai prochain pour la conférence dédiée à cette exposition.
Agathe Comby
Du 25 mars 2025 au 20 juillet 2025
Musée de Cluny – musée national du Moyen Âge, 28 Rue du Sommerard, 75005 Paris
Ouvert de 9h30 à 17h45 (fermeture le lundi)
https://www.musee-moyenage.fr/