Du 6 juin 2024 au 4 janvier 2025, le Musée d’Art et de Culture Soufis (MACS MTO) inaugure sa grande exposition temporaire : Corps à cordes : Vibration et Résonance. Un dialogue sensible entre huit œuvres contemporaines et la collection permanente, tissé comme une partition vibratoire entre matière et spiritualité.

Un nouvel écrin de culture religieuse
Situé à Chatou‑Croissy, non loin des rives de la Seine chères aux impressionnistes, le MACSa ouvert ses portes en septembre 2024, après dix ans de réflexion, de conception et de dialogue. Premier musée au monde entièrement dédié à l’art et à la culture soufis, il se veut espace de transmission, de contemplation et de rencontre.
Fondé par la Maktab Tarighat Oveyssi Shahmaghsoudi (école soufie islamique), le musée a été pensé comme une « plateforme d’échange culturel », rompant avec les logiques chronologiques ou thématiques. L’intégration d’œuvres contemporaines est donc essentielle à sa mission.
Installé dans un hôtel particulier du XIXᵉ siècle, nouvellement restauré, le style Second Empire, les corniches délicates, les mosaïques et la façade bleu outremer créent une atmosphère sobre et inspirante. Les murs d’un blanc immaculé accueillent les œuvres dans une scénographie épurée, propice à la méditation.

Avec ses 600 m² d’espaces d’exposition répartis sur trois étages, son jardin intérieur propice au recueillement et sa bibliothèque de recherche, le MACS incarne une vision ouverte et vivante du patrimoine soufi. Corps à cordes en est le premier souffle vibrant.

Le soufisme, qu’est‑ce que c’est ?
Né au cœur du monde islamique aux VIIIᵉ et IXᵉ siècles, notamment dans l’actuel Irak et à Bagdad, le soufisme se présente comme la dimension intérieure et spirituelle de l’islam. Issu d’une tradition ésotérique, transmise oralement — et selon certaines légendes comme un enseignement secret du prophète Muhammad dans une grotte —, il invite à la connaissance de soi et à l’union avec le divin.
Il repose sur une lecture symbolique du Coran, distinguant en toute chose un aspect apparent (Zâhir) et un aspect caché (Bâtin), à découvrir par intuition, méditation et purification de l’ego. Guidés par un maître spirituel, le cheikh, les disciples (ou derviches) suivent une voie d’initiation marquée par la prière, la poésie, la musique, et parfois la danse. Loin d’un dogme figé, le soufisme privilégie une expérience vivante du sacré, fondée sur la transformation intérieure et constitue un courant majeur de la spiritualité islamique.
L’exposition Corps à cordes : Vibrations et résonances
Comment le son transmet-il le savoir ? Tel est l’enjeu de Corps à cordes, première exposition temporaire du MACS MTO. Sous la curation d’Elena Sorokina et Simona Dvorák, huit œuvres contemporaines de quatorze artistes internationaux ont été choisies pour dialoguer avec des objets rituels soufis. Ensemble, elles explorent des dimensions invisibles de la perception. L’exposition adopte une approche synesthésique : le corps devient ici l’instrument d’une écoute intérieure. Le parcours se déploie sur trois étages, chacun structuré autour d’un thème fondateur.
Transmissions de savoirs
L’oralité est ici vecteur fondamental : chants, récits et poèmes deviennent des passerelles entre le visible et l’invisible, incarnant la « transmission de cœur à cœur ». Les artistes ravivent des épistémologies souvent oubliées, en dialogue avec des objets soufis des collections.
Un exemple marquant : les kashkūls, sculptés dans des cocos de mer et utilisés par les derviches, répondent aux Magic Pots de Yoshimi Futamura. Ces pots en terre, aux formes organiques, incarnent la transformation intérieure, à l’image d’une âme polie par la vie.

Dans la même pièce, Meris Angioletti investit les murs avec une partition visuelle inspirée de Message for the Soul, traduisant le son en pictogrammes, mémoire en fresque. Charwei Tsai, quant à elle, propose une installation méditative mêlant matériaux naturels, geste collectif et spiritualité. Elle brode en lettres dorées des vers de poétesses soufies sur des tapis ronds en feutre noir et rouge, réalisés avec une communauté de femmes à Al Ghadeer (Émirats arabes unis) et offrant un dialogue poétique et soignant.

Enfin, Sara Ouhaddou et Paula Valero Comín interrogent la circulation du sens via le geste, la parole, l’écriture et le silence. Chez elles, le langage devient matière vivante, sensuelle et poétique, ancrée dans la tradition soufie d’un savoir ésotérique transmis de façon intuitive.


Vibrations et résonance
Au cœur de ce parcours sensoriel, la vibration devient chair. Dans une véranda baignée de lumière, plusieurs kashkūlsmonumentaux occupent l’espace comme résonateurs. Au centre, La Station d’écoute, une composition sonore de 16 minutes par JJJJJerome Ellis et Magdi, envahit la pièce. Le son enveloppe les corps et les esprits, tandis que la véranda offre une vue sur le jardin persan du musée. Cette mise en espace évoque le samā, pratique soufie contemplative d’écoute intérieure : on “entend le savoir de l’existence avec tout son être”.


Célia Gondol propose Omni Tempore, un disque gravé de signes rythmiques spontanés, explorant les liens entre mouvement, souffle et cosmologie : le corps y devient instrument de mesure du temps et de l’espace. Rada Akbar convoque mémoire, résistance et dignité à travers une œuvre textile puissante, à la croisée de la performance et de la narration. Les œuvres de Marie-Claire Messouma Manlanbien et Vesna Petresin complètent cette section où le corps, la voix et le souffle forment une polyphonie vibrante. Instruments soufis, manuscrits et poèmes mystiques des collections du musée répondent en écho, inscrivant ces pratiques contemporaines dans une continuité spirituelle et sensorielle.

Le son comme guérison
Conçue en étroite collaboration avec l’Initiative for Practices and Visions of Radical Care (RCI), cette dernière section explore les vertus curatives du son. Nevin Aladağ, Brook Andrew, Katy’taya Catitu Tayassu, Guadalupe Maravilla, accompagnés de Yoshimi Futamura et de nouvelles partitions visuelles de JJJJJerome Ellis, convoquent pouvoirs de soin, rituel et réparation.




Dans cet espace contemplatif, les installations multisensorielles brouillent les frontières entre corps, musique, mémoire et esprit. Le son se fait vecteur de réconciliation, porteur d’histoires oubliées et d’archives intimes : il soigne, relie et répare.

Corps à Cordes est une exposition conçue comme un tissage : un pont entre artistes et objets, entre récits personnels et spiritualités partagées. Un espace de résonance où l’art contemporain épouse les rythmes anciens du soufisme. Non pour illustrer une religion, mais pour en faire entendre la vibration universelle.
Candice Guettey
Du 6 juin au 4 janvier 2025.
Musée d’Art et de Culture Soufis MTO, 6 avenue des Tilleuls, 78400 Chatou
Accessible le mercredi, jeudi, vendredi de 11h à 18h et le samedi et dimanche de 10h à 18h.
www.macsmto.fr